Un email I like that un mercredi ?! Mais où va le monde ? N’y a-t-il plus aucun respect pour les habitudes ? J’entends vos préoccupations mais situation urgente nécessite mesure drastique. Etant en balade au pays de Sia, Troye Sivan, Hanna Gadsby (et Chris Hemsworth), je n’avais pas encore pu vous dire tout le mal que je pensais de la comédie Les Crevettes Pailletées. Le film sortant aujourd’hui en salle, il était urgent que je m’oppose à toutes les critiques enthousiastes que j’ai lu. Voici donc un format que vous n’avez vu nulle part ailleurs : le hors-série !
Les Crevettes Pailletées m’a énervée d’une colère viscérale. Des heures après le film, j’avais encore une vilaine boule au ventre. Ce “feel-good movie” raconte l’histoire d’un nageur pro hétéro et homophobe qui essaie de sauver sa carrière en entrainant une équipe de water-polo gay, appelées Les Crevettes Pailletées, afin qu’elle se qualifie aux Gay Games qui ont lieu eu Croatie. Le film minimise l’homophobie, confond transidentités et travestissement, perpétue des clichés dangereux sur les gats et transforment les hommes gays en outils scénaristiques pour faire avancer l’histoire d’un homme hétéro. C’est mille fois non.
Avant de parler de tous ces problèmes, commençons par parler de la qualité du film. Que c’est lourd !!! Le film enchaîne facilités scénaristiques sur facilités scénaristiques. Pourquoi, oh pourquoi, l’équipe décide de se rendre en Croatie dans un bus à double étage qui n’est pas autorisé à rouler sur autoroute pour plutôt qu’un avion ? Leur argument de l’avion ça coûte cher, c’est du n’imp total. Il y a des vols à partir de 150€ qui ne nécessitent pas de poser cinq jours de congés payés pour traverser l’Europe et de dépenser un bras en essence et hôtels. Tout ça pour permettre une vieille scène clichée où le personnage trans chante Boys Boys Boys sur le toit du bus les cheveux au vent. Leave Priscilla Queen of The Desert alone !

Lors de la projection presse, quelques personnes avaient l’air aussi hermétiques à ce film que moi, d’autres riaient franchement. Elles et ils avaient l’air hétéro et en âge d’avoir vu Gazon Maudit au cinéma. Le genre à aimer Qu’est-ce qu’on a fait au bon dieu. Pas étonnant, le film semble écrit pour elles et eux. C’est le genre de films qui rassurent les hétéros, qui leur permet de croire qu’elle et ils sont ouverts d’esprit puisqu’elles et ils ont aimé ce film. Le genre de films qu’ils peuvent apprécier sans se remettre en question ou s’interroger. Voici 5 raisons pour lesquels, ce film va faire parler aux diners hétéros :
1- Le film est facile à avaler pour les hétéros parce qu’il raconte l’histoire de l’un des leurs. Au final, le héros du film, c’est bien le nageur homophobe puisqu’il va permettre à l’équipe des Crevettes Pailletées, une bande de fêtards queutards incapables de fournir le moindre effort, de se concentrer et d’ainsi participer aux Gay Games. Des gays sauvés par un homophobe, quelle jolie histoire de “tolérance”.
2- Les gays ne sont là que pour permettre à nageur homophobe de compléter son arc de rédemption. A la fin du film, on sait que le nageur homophobe n’est pas un si mauvais bougre, en revanche, on n’en sait pas vraiment plus sur les personnages gays. Ce n’est pas grave. Les gays ne sont pas des personnes intéressantes en soi, comme nous le savons bien, ce sont surtout des personnes que l’adversité a rendu drôles et matures et dont la seule fonction sur terre est de faire rire les hétéros et de les réconforter (cf tous les films avec un gay best friend, de la récente rom-com Netflix The Perfect Date à Clueless en passant par Isn’t it Romantic).
3- Le film est accessible aussi parce qu’il reprend les clichés sur les gays que les hétéros adorent : les gays ne pensent qu’à baiser, les gays sont futiles et légers, les militant·es sont casse-pieds, etc. Il y a du vrai dans certains de ces clichés mais on pourrait aller un peu au-delà non ?
4- Les Crevettes Pailletées confond personnes transgenres et travesties. Un des membres de l’équipe, Fred, est une femme trans qui ne ressemble en rien à une femme trans. Drapée de robes Jean Paul Gaultier, juchée sur des cuissardes lamées, habillée de chapeaux géants, elle ressemble plus à un travesti en plein spectacle qu’à une femme trans vivant sa vie de tous les jours. Normal, Fred est jouée par Romain Brau, un travesti cis. Le film réussit tellement bien à véhiculer cette idée qu’une femme trans est un homme déguisé que la journaliste de 20 minutes a parlé de “travestis” au lieu de “trans”. No biggie. Bienvenue en 2012. Et quand un des personnages a des comportements transphobes, c’est juste parce qu’il est aigri, toujours énervé qu’une personne trans ait été élue trésorière d’Act Up plutôt que lui il y a 30 ans. C’est vrai que ça aurait été inutile d’avoir une vraie discussion sur la transphobie dans la communauté LGB…
4- Le pire restant, je trouve, la façon dont le film minimise l’homophobie du nageur pro. La situation est parfaitement résumée par cette phrase prononcée par le seul membre engagé de l’équipe : “T’es pas homophobe, t’es juste un peu con”. Voilà, l’homophobie, c’est pas bien grave. Ca se pardonne, mais si la personne homophobe ne fait aucun effort pour changer ou n’apporte aucune preuve d’évolution. Les hétéros sont rassuré·es, ce n’est pas parce qu’elles et ils disent toujours “pédés” et “gouines” qu’elles et ils sont homophobes. Pas besoin d’essayer de s’informer sur la condition des LGB en France, d’écouter les personnes concernées ou d’essayer de changer sa perception des choses. Restez comme vous êtes.
Vous me direz, ce film a dû être écrit par des hétéros. Non, même pas. Il a été écrit et réalisé par Maxime Govare, qui est hétéro, et Cédric Le Gallo, qui fait partie de l’équipe de water-polo gay des Shiny Shrimps. Génial, un gay qui écrit un film sur les gays ! Quelle légitimité ! Les critiques de films sont ravi·es. Ma note pour ce film : -3 sur 5.
Je sais que certain·es personnes LGBT+ ont apprécié le film. Je comprends. Il y a des choses intéressantes comme la diversité des personnages ou la rapide réflexion sur les stratégies de survie en terres hétéros (Faut-il se cacher ou s’assumer ? Pierre Palmade a la solution) – j’en parle avec plus de détails dans mon article de Slate qui devrait sortir aujourd’hui. Mais surtout, ce film est passablement bon comparé aux autres comédies françaises mettant en scène des personnages gays. Celles-ci nagent souvent dans l’homophobie la plus totale comme l’ignoble Epouse-moi Mon Pote.
Alors, proposition : et si nous ne nous satisfaisions plus de films mauvais qui brossent les hétéros dans les sens du poil et nous mettent en danger en perpétuant des clichés à risques et en validant discrètement l’homophobie ? Nous méritons des films dans lesquels nous sommes des personnages complets et complexes, pas des aides à hétéros. Nous méritons d’être les héros et héroïnes !!!
Sur ce à dimanche pour un numéro plein de paillettes, de plumes, d’extravagance et de fiertés.
Aline
N.B L’article a été modifié le 8 mai : Romain Brau n’est pas une drag queen mais performe au Cabaret Madame Arthur en tant que « créature travestie »