On y est enfin ! Portrait de la jeune fille en feu sort en salle ce mercredi ?. Portrait (il est temps qu’on s’approprie ce titre trop long) n’est pas seulement un très beau film acclamé par la critique internationale, c’est aussi une victoire pour les femmes lesbiennes et bi. Enfin un grand film français qui met en scène une histoire d’amour saphique ! Enfin des femmes queers qui jouent des personnages queers ! Enfin une mise en lumière des femmes lesbiennes et bi du passé ! 

Difficile de ne pas déjà connaître le pitch de Portrait de la jeune fille en feu tant il a fait parler de lui depuis le Festival de Cannes. Dans ce film, à la forme assez classique, Céline Sciamma raconte la rencontre de deux femmes, interprétées par Noémie Merlant et Adèle Haenel, et l’intensification de leurs sentiments l’une pour l’autre, sur fond de campagne bretonne du 18e siècle. Je ne vais pas m’attarder sur ce film parce que je suis sûre que vous avez déjà lu et entendu tellement de belles choses. Même si je n’ai pas été aussi touchée que d’autres par ce film (j’ai trouvé la première moitié ennuyeuse), j’ai hâte que toute la France le voit. Qu’il est beau de voir un film écrit, réalisé et joué par des femmes queers, de voir une histoire racontée avec un female gaze libéré, de passer une heure et demi à regarder des femmes s’aimer et se soutenir.

Cette semaine, je préfère vous parler d’un film commercial pas très bon sorti mercredi dernier : Ça : Chapitre 2. Oui, oui, j’ai choisi de vous parler du volume deux d’un blockbuster américain plutôt que de Portrait, vous allez vite comprendre pourquoi. Attention, je vais dévoiler quelques éléments d’une intrigue secondaire du film et un élément important du film, celui-ci sera annoncé.

Ça : Chapitre 2 s’ouvre, contre toute attente, sur Xavier Dolan. Vêtu d’une magnifique veste rose, il joue un homme nommé Adrian Mellon qui s’amuse à la fête foraine de Derry, une petite ville américaine. Il est avec son copain, les deux hommes s’embrassent, et moi, j’ai tressailli. A 32 ans, en 2019, voir deux personnes du même genre s’embrasser sur un écran de cinéma continue de me surprendre. La mignonnerie est de courte durée, les deux hommes se font tabasser par des homophobes. Puis, c’est au tour de Ça, le fameux monstre au centre du film, de s’attaquer à Adrian Mellon. Ça est de retour. 

Commencer un film par une attaque homophobe, c’est quelque chose. Dans le livre de Stephen King, dont le film est adapté, cette attaque, inspirée d’une histoire vraie, servait à montrer à quel point Ça réussissait à pourrir la ville de Derry, à quel point les gens pouvaient devenir mauvais. Dans le film, l’attaque sert plutôt à mettre en lumière la difficulté de vivre dans une petite ville américaine quand on est LGBT+, une expérience que connait bien l’un des personnages.

27 ans après avoir survécu à la violence de Ça, un groupe d’enfants devenus grands se retrouvent pour tuer Ça une bonne fois pour toute. Rythmé par des flashbacks 80’, Ça : Chapitre 2 explore le rapport de ces adultes (dont deux joué·es par James McAvoy et Jessica Chastain – oui, oui…) avec leurs traumatismes d’enfance. L’un d’entre eux, Richie (joué par Bill Hader – ce casting et définitivement surprenant), vit avec un lourd secret. Ce secret n’est jamais nommé mais plusieurs indices nous font comprendre que Richie est gay (ou bi). Lors d’un flashback, on voit Richie graver sur la rambarde d’un le message d’amoureux “R + ”. La scène s’arrête avant qu’on puisse voir de qui Richie est amoureux. La scène finale lève le doute. Après être venu à bout de Ça, Richie retourne sur le pont. — attention divulgâchage — La caméra nous permet enfin de voir le message en entier. Richie avait gravé R + E. E comme Eddie, son ami d’enfance…

C’est intrigue gay m’a ravie. Il est tellement rare de voir des personnages queers dans des blockbusters, qui plus en couple et heureux ! Et des baisers gays ? N’en parlons même pas ! Alors, voir un film qui s’ouvre sur un couple de gays qui s’embrassent, qui dénonce l’homophobie et qui se clôture avec une déclaration d’amour gay, c’est important. Cela permet à la fois de normaliser l’existence de couples LGBT+ et de rappeler les conséquences de l’homophobie aux millions de personnes qui vont voir ce film (le premier volet a été le film d’horreur le plus lucratif de tous les temps). C’est d’autant plus appréciable que l’équipe du film s’est éloignée de l’intrigue du livre pour développer cet arc (cet article compare le sous-texte gay dans le livre et le film, je vous le recommande). Mais le film aurait pu, non dû, faire plus.

Ce qui est énervant, c’est que l’homosexualité de Richie n’est jamais affirmée. Les éléments nous poussant à comprendre son “secret” sont tellement discrets qu’une partie des spectateur·ices ont dû passer à côté. Ça me rappelle l’utilisation de sous-texte gays dans les films d’antan. La scène finale me rappelle, quant à elle, les soap des années 80 et 90 où l’homosexualité d’un personnage était si inattendue que sa révélation était choquante, un plot twist de première importance. Le pire, c’est que ce ne sont même pas les aspects le plus vieillot du film ! Il faut vraiment qu’on m’explique pourquoi Richie adulte est un homme dans le placard mal dans sa peau. C’est un quadragénaire vivant dans une grande ville en 2016, nom de nom ! Et même s’il n’était pas out au début du film, pourquoi ne l’était-il pas à la fin du film ? Il vient d’être confronté à ses traumatismes d’enfance, de vaincre un monstre effrayant et de voir un de ses potes se faire empaler, s’il y a bien un moment pour réaliser que la vie est courte et qu’il faut la vivre à fond sans se restreindre, c’est bien là ! 

Bref, cet arc prouve à quel point le cinéma grand public est encore timide sur la représentation LGBT+ mais laisse espérer du changement.

Sortez le pop-corn ?

? Une femme fantastique, de Sebastián Lelio

Image-une-femme-fantastique

Arte propose en ce moment le magnifique Une femme fantastique sur son site. L’Oscar du meilleur film étranger 2018 est en ligne jusqu’au 17 septembre. 

Une femme fantastique raconte le combat de Marina (Daniela Vega), une femme transgenre bafouée par la famille bourgeoise de son amant défunt. Chassée de chez elle, privée de son chien, interdite d’enterrement et maltraitée par la police, elle va se battre pour dire au revoir à son compagnon et défendre sa dignité. Rarement un film sur la transphobie et le deuil n’aura été si poétique et positif. La mise en scène, par moment onirique et musicale, rend l’esprit combatif de Marina contagieux. 

Au-delà de sa beauté, ce film chilien mérite d’être vu pour sa représentation juste d’une transidentité. Quand on voit l’actrice Daniela Vega se mouvoir dans ce film, on ne peut qu’être convaincu·e de l’importance de donner les rôles trans à des personnes trans. Marina n’est pas jouée par une femme ou un homme cis déguisé en personne trans mais par une actrice trans, et cela fait toute la différence dans un film qui dénonce le regard des personnes cis sur un corps trans. A plusieurs reprises, parce que le scénario le justifie, on la voit partiellement nue. A aucun moment le réalisateur, cis, ne fétichise ou violente pas son corps, il le montre avec décence et respect. Un film puissant.

? Port Authority, de Danielle Lessovitz

Wye et Paul dans Port Authority

Cannes se rappellera encore quelque temps de la présence de Port Authority dans la catégorie Un Certain Regard en 2019. Non seulement son actrice Leyna Bloom avait été la première actrice transgenre racisée dans un rôle principal, mais en plus plusieurs acteurs du film avaient profité de la montée des marches pour entamer quelques pas de voguing. Inutile de dire qu’ils portaient parmi les meilleures tenues vues à Cannes cette année. 

Port Authority raconte l’arrivée de Paul, un jeune homme paumé, à New York, et sa vie entre deux mondes. Il travaille et vit avec une bande d’hommes machos, homophobes et violents, et passe son temps libre avec sa petite-amie transgenre, Wye, et ses ami·es queers. Ces dernier·es appartiennent à la « ballroom scene », une communauté constituée essentiellement d’hommes gays et de femmes trans, noir·es et latinx. Ce choc des cultures le pousse à réfléchir à l’homme qu’il aimerait être. 

Port Authority méritait sa place à Cannes, c’est un film lumineux sur la précarité de la jeunesse, sur le besoin d’appartenance et surtout sur la construction et la déconstruction de la masculinité. La relation amoureuse entre Paul (Fionn Whitehead) et Wye (Leyna Bloom) est souvent touchante et le film dresse un joli portrait de la scène ballroom contemporaine. Malheureusement, le film ne lui donne pas la place qu’elle mérite.

Dans le film, la scène ballroom n’existe que pour permettre à Paul d’explorer ses biais et sa masculinité. Les membres de la scène ballroom sont unidimensionnels, ils ne sont que des rencontres qui permettent au seul personnage digne d’un rôle principal d’évoluer : l’homme blanc cis et hétéro qu’est Paul. Le film est très intéressant – et il est beau de voir une relation à peu près saine entre un homme cis hétéro et une femme trans – mais il s’inscrit dans une tradition cinématographique qui a trop duré. Ras-le-bol que les personnages LGBT+ n’existent que pour mettre en valeur des personnages hétéros et cis !

Cela dit, la cinéaste, Danielle Lessovitz, une lesbienne blanche et cis, a vraiment tenté de dire quelque chose d’intéressant avec ce film. “Nous voyons souvent des histoires de personnes issues d’une culture minoritaire qui souhaitent intégrer la culture dominante. Moi je voulais montrer le contraire », a-t-elle expliqué lors du Festival de Cannes. Elle a aussi expliqué aussi que ce film était une réflexion sur la place que peuvent avoir les allié·es. Paul est régulièrement rappelé par la famille de Wye qu’il est cis, hétéro et blanc et qu’il ne sera jamais un membre à part entière de la scène de la ballroom, que celle-ci existe pour que les personnes LGBT+ noires et latinas aient un espace à elles, protégées des agressions. Et ça, c’est un message qui me plaît.

Port Authority est à voir en salle à partir de mercredi.

L’actu paillettes ✨

Oh Ellen Page d’amour. L’actrice ne comprend pas pourquoi elle devrait avoir peur qu’on ne lui propose que des rôles de femmes lesbiennes ou bi : “Why would I not want to play those roles?” [The Advocate]

Interrogé·es par Léa Salamé (France Inter) sur ce qui les « met en colère », Joey Starr et Béatrice Dalle sont revenu·es sur la “polémique” autour l’homophobie dans les stades. Et elle et il n’ont pas déçu ! [Têtu

Le maire de Rio de Janeiro a tenté de retirer de la vente le comics Avengers: The Children’s Crusade qui comporte un dessin de deux super-héros, Wiccan et Hulkling, en train de s’embrasser. Guess what ? Le comics s’est vendu comme des petits pains. [Vanity Fair]

Le chanteur Sam Smith déclare être non-binaire et demande à ce que soit utilisé le pronom “iel” pour le décrire. (Dans le #32, je vous expliquais pourquoi ce pronom neutre était important) [LCI

RuPaul a invité Kate Moenig, aka Shane, sur son podcast. On y apprend que seules trois actrices de The L Word étaient lesbiennes. Je suis CHOQUEE. [What’s the tee]

L’acteur et chanteur gay Kevin McHale, Artie dans Glee, était invité sur le podcast I’m obsessed with this pour parler de sa passion pour la série de la rentrée : Elite. C’était drôle. J’ai envie d’être sa pote. [I’m obssesed with this]

Il faut aller voir Tu mérites un amour, le premier film d’Hafsia Herzi, ne serait-ce que pour le personnage d’Ali, un homme gay d’origine maghrébine drôle et attachant. Son interprète Djanis Bouzyani crève l’écran. [Têtu]

Allez, à la semaine prochaine mes puces,

Aline