Downton Abbey est de retour. Trois ans et demi après la fin de la série, la bienveillante famille Crawley et son personnel de château dévoué sont de nouveau à l’écran, mais cette fois-ci sur le grand écran. Si vous avez aimé la série, vous allez aimer le film. Quel bonheur de retrouver les plans aériens de la série, la musique majestueuse, les paysages bucoliques anglais, les pics de Lady Violet, les colères de Mrs Patmore et surtout… Thomas Barrow.
Bien plus qu’une ode à l’aristocratie gentillette, Downton Abbey est une série presque politique. Elle s’est toujours attachée à mettre en avant les discriminations de l’époque et à montrer leur impact sur les victimes. Les injustices faites aux femmes et leur combat pour l’émancipation sont au centre même de l’intrigue (j’en ai parlé avec des historiennes dans Cheek. Leur verdict : le soap aristo est fidèle à l’Histoire). Et puis il y a Thomas Barrow…
Homme gay manipulateur et méchant dans la première saison, on le découvre progressivement fragile et perdu. Thomas représente les victimes de l’homophobie du XXe siècle. Un homme que le monde entier considère comme un monstre pécheur au pire, un malheureux né avec une malformation au mieux. Il sait qu’il ne peut jamais baisser sa garde, montrer qui il est, s’attacher car le moindre faux-pas peut l’amener en prison. C’est l’Angleterre d’Oscar Wilde où la sodomie est punissable par la loi. La seule fois où Barrow exprimera ses sentiments pour un homme, l’objet de son affection se retournera contre lui. Sauvé de la prison et du chômage par la bienveillance de certain·es membres du personnel, Barrow n’en est pas moins dévasté. Il dépense toutes ses économies pour se procurer un médicament qui le guérira de son homosexualité. Une arnaque, évidemment, qui le rendra physiquement malade. Fatigué du regard méfiant du reste du « downstairs », il tentera de se suicider. Le film lui apporte enfin un peu de répis. Il rencontre un autre homme gay, se fait draguer par un autre, ira à une soirée gay et vivra un moment d’intimité avec un autre homme ! La menace de la police est toujours là mais Thomas a enfin quelqu’un de confiance à qui parler.

L’intrigue autour de Thomas Barrow est sûrement la plus intéressante d’un film sinon assez plat. Irréaliste et partant dans tous les sens, le film Downton Abbey ressemble à une saison de soap opéra dont on aurait coupé les scènes les plus intéressantes. Complaisant et niais, il a des airs de publicité pour l’office de tourisme de l’Angleterre monarchiste. Le problème, c’est que cette intrigue gay sonne faux. Premièrement, le film veut nous faire croire que Thomas n’a jamais rencontré d’hommes gays avant cet évènement. L’audace ! Les fans savent bien que Thomas n’est pas un être vierge et innocent puisqu’il couchait avec un aristocrate dans la saison 1 et le faisait chanter… Quel pervers et manipulateur Ce Thomas, décidément. Deuxièmement, cette découverte tardive des nuits gays semble peu probable au regard de l’histoire. Le média en ligne LGBTQnation déplore que la série ait invisibilisé la réalité des hommes gays éduqués fréquentant Londres, à l’instar de Barrow. A l’époque, la scène queer se portait bien, comme l’a bien montré le film Vita & Virginia, et il est peu probable que Thomas n’en sache rien, conclut le site. Pourquoi la série historique, d’habitude réaliste, a-t-elle crû bon cacher cette réalité ? Pourquoi a-t-elle choisi de réécrire l’histoire de Thomas ignorant son comportement dans la saison 1 ?
Julian Fellowes, le créateur de la série, et son équipe savent bien que le traitement de Thomas Barrow dans la série a été mal reçu par de nombreuses personnes. Pour LGBTQnation, le personnage de Barrow est un exemple parfait de “méchant gay”, un trope fréquent et dangereux. Historiquement, les gays ne pouvaient être à l’écran que s’ils représentaient une menace, des personnes malades dont il fallait se méfier. Ils étaient méchants parce ils étaient gays. Être gay voulait dire être immoral, sale. Ce trope a influencé la société et le voir toujours utilisé est fatiguant. LGBTQnation remarque que Julian Fellowes et Rob James-Collier, l’interprète de Thomas Barrow, ont tous les deux justifié la méchanceté de Barrow par l’homophobie dont il est victime. Sauf que les deux ne sont pas directement liées, estime le site. On ne devient pas automatiquement égoïste et manipulateur parce qu’on vit dans un environnement homophobe.
Je ne partage pas entièrement l’avis du journaliste de LGBTQnation sur ce point, mais sa critique me semble importante. Donner le rôle du principal méchant au seul personnage LGBT+ a des conséquences sur la représentation que l’on se fait des personnes LGBT+. Il n’est pas question de cacher les hommes gays méchants, il y en a, mais il s’agirait de les traiter comme des hommes méchants qui se trouvent être gays (sans pour autant nier leur identité). C’est ce qu’a fait avec brio l’excellente mini-série A Very English Scandal qui relate une histoire vraie qui a secoué l’Angleterre des années 70. Hugh Grant y interprète Jeremy Thorpe, un politicien détestable prêt à tout pour taire son ancien amant, joué par Ben Whishaw – qui vient d’ailleurs de gagner un Emmy pour ce rôle. Pour Them., la journaliste Samantha Allen revient sur ce récit fascinant. « Les personnages LGBT+ dont on se rappelera, des années plus tard, seront sûrement ceux qui sont complexes, pas ceux qui sont polis. La « queerness » est compliquée, et les médias qui reflètent cette réalité auront plus d’echo que ceux qui essaient de faire de nous des personnages trop ordonnés et réservés« , écrit-t-elle.

Sortez le pop-corn ? |
? The Politician, Netflix
A première vue, on pourrait penser que The Politician est une série sur un ado blanc riche qui veut utiliser ses privilèges pour devenir président de son lycée (et, dans le futur, des Etats-Unis), entouré de camarades de classe, toustes aussi riches, blanc·hes et parfaitement dans les normes. Ce serait une erreur. Avec The Politician, les créateurs de Glee, Ryan Murphy Chéri, Brad Falchuk et Ian Brennan, semblent enfin avoir réussi à mettre en scène la diversité de la jeunesse et à questionner le concept de privilège.
Payton, le héros de notre histoire, est un jeune homme apparemment bi, adopté par une famille richissime, mal-aimé par son père et harcelé par ses frères. Il est tiraillé entre son ambition débordante et sa volonté de faire du bien. Il se demande qui il est et pourquoi il n’arrive pas à ressentir des sentiments. River, son amant aux airs de Superman en proie à des pensées suicidaires, l’invite à exprimer sa vulnérabilité, à l’inverse de sa petite amie, Alice, et de ses ami·es/conseiller·es, McAfee et James. Dévoué·es à Payton, elles et il veulent avant tout que leur héros réussisse et batte ses adversaires, Astrid et Skye. Des deux côtés de cette élection, les ados sont cyniques et désabusés, mails elles et ils sont loin d’être vos frat boys et mean girls classiques. McAfee est une femme queer qui porte le costume comme personne (Cate Blanchett, you’re out), Skye est une militante noire, lesbienne et gender nonconforming, Astrid veut tout foutre en l’air et James, le seul homme hétéro, est potentiellement trans (il est joué par l’acteur·ice trans Theo Germaine). Alors que Glee semblait vouloir gagner au bingo de la diversité, The Politician met en scène des personnages fluides en termes de sexualité et d’expression de genre de façon convaincante et fine. Le fait que plusieurs femmes aient réalisé des épisodes, dont la grande Janet Mock, et que la majorité des interprètes de personnages LGBT+ le soient IRL a dû jouer. S’il n’y a pas beaucoup de personnages racisés (ce qui se comprend vu le contexte), la série intègre parfaitement plusieurs personnages handicapés et malades, à la fois dans des rôles principaux et secondaires.
Lycéen·nes ambitieux, diversité, photographie pop, il serait facile de penser qu’il s’agit d’un Glee bis. Encore une fois, ce serait une erreur. The Politician a ce côté soap too much qu’avait Glee mais fait surtout penser à du early Wes Anderson pour sa théâtralité et son intemporalité, à Heathers pour sa réflexion sur la nature humaine, à House of Cards pour son approche de la politique ou à Booksmart pour sa foi en la jeunesse et en l’amitié. Si la série fonctionne, c’est que les acteur·rices donnent à tous les personnages principaux une vraie complexité. Ben Platt (Dear Evan Hansen, Pitch Perfect) arrive à nous faire voir la gentillesse et le mal-être que cache son personnage de Payton. Au cours de cette trop courte première saison, il s’interroge sur son insensibilité et sa tendance à jouer le candidat parfait plutôt qu’à être qui il est.
Plus qu’une série sur l’ambition, c’est une série sur les efforts qu’on fait pour cacher ce que l’on ressent, qui on est afin de réussir (ou de survivre). Ce questionnement sur l’authenticité obsède les personnages de River, Astrid et Payton notamment. Quant à McAfee, Alice et James, elles et il sont rendus attachant par l’amour, ou plutôt le dévouement, qu’elles et il ont pour Payton. Comme sa mère (jouée par l’incroyable Gwyneth Paltrow), le groupe est prêt à se sacrifier pour lui. C’est cet amour, ce questionnement sur la moralité et cette recherche de soi qui rend la série si intéressante.
Il y a beaucoup à dire sur la quasi-absence d’étiquettes LGBTQ+ dans la série et sur le casting très LGBTQ+ de la série, je vous en reparlerai dans les semaines à venir. Ce n’est que le début de mon obsession pour cette série !
L’actu paillettes ✨ |
Outre Atlantique, la scène d’agression d’homophobie dans Ça : Chapitre 2, dont je vous ai déjà parlé, divise. Xavier Dolan pense que c’est important de la montrer mais de nombreuses personnes LGBT+ ne sont pas d’accord. [Têtu / Komitid]
Certaines personnes n’étaient pas contentes que le champion olympique gay Gus Kenworthy joue un homme hétéro dans la nouvelle saison d’American Horror Story. Il leur a répondu. [Out]
Aujourd’hui sort le livre de Tegan & Sara sur leurs années lycée. Au programme : coming-out, premières petites copines et découverte de la musique. Ca promet ! [AV Club]
Whitney Houston sera bientôt en concert. Pas elle vraiment bien sûr, mais son hologramme. Quelle honte d’exploiter de la sorte l’œuvre et le souvenir d’une personne morte ! La pillule est encore plus dure à avaler quand on sait ce qui a amené Whitney Houston à un tel niveau de désespoir : devoir cacher qui elle était pour réussir dans le show biz, notamment son amour pour une femme. J’espère que les fans boycotteront cette tournée. [20 minutes]
Les Emmys ont récompensé trois hommes gays ! RuPaul a embrassé son mari avant de monter sur scène récupérer son prix, Ben Whishaw a remercié son mari et Billy Porter a prononcé un discours magnifique. [The Guardian]
Stéphane Bern se dévoile pour Télérama et parle aussi bien de patrimoine, de classes sociales que d’homophobie. [Télérama]
Le crush unicorn : Jonathan Van Ness ? |

Jonathan Van Ness, star de Queer Eye et héros non-binaire, vient de sortir son autobiographie. Il y raconte comment il est devenu la personne libre qu’il est désormais. C’est peu dire que cela n’a pas été aisé. Agressé sexuelement par un garçon plus âgé de sa paroisse, moqué à l’école, il trouve une échappatoire dans la nourriture puis la drogue avant de se mettre à couper les cheveux. Il se fait connaître avec ses vidéos récap de GoT, Gay of Thrones, la suite vous la connaissez. Si vous n’étiez pas déjà en amour de sa vulnérabilité, son énergie et sa bienveillance, vous devriez le devenir après avoir lu cette très belle interview dans le New York Times. Désormais en tournée de promotion de son livre, il aborde le sujet de sa séropositivité avec fierté et en profite pour faire de l’éducation sur le sujet. Merci JVN !
Le quart d’heure musical ? |
Tyler the Creator est actuellement en tournée aux US. Et il est accompagné en première partie de ses potos queers Jaden Smith et Blood Orange ! Je suis à deux doigts de vendre tous mes meubles pour aller les voir en concert. Je me remonte le moral en pensant au prochain concert parisien de Steve Lacy. Génie du hip hop, l’ancien membre de The Internet a signé un album magnifique au printemps et a collaboré avec Vampire Weekend, GoldLink, Kali Ulchis, Solange ou Blood Orange.
La playlist 100% LGBTQ+ est à retrouver sur Spotify et Deezer.
Sur ce, je vous laisse. Je dois réfléchir bien fort à qui je suis et comment être authentique.
A la semaine prochaine !
Aline
