Vous savez à quel point j’adore voir des personnages principaux LGBT+ dans des “séries non-communautaires” (aussi appelées “séries grand public”), comme dans Years and Years, et à quel point je raffole des “séries communautaires” (aussi appelées “séries LGBT”), à la Looking, mais il y a une chose qui m’importe tout autant : les séries dont les personnages principaux sont cis et hétéros mais qui représentent avec réalisme et pertinence la présence de personnes LGBT+ dans le monde.
Si j’utilise des guillemets, c’est bien pour insister sur le ridicule de ces termes, comme si une série qui avait principalement des personnages LGBT+ n’existait que pour nous autres, membres de la fameuse communauté LGBT, aussi fantasmée qu’irréelle, et comme si une série sans personnage principalement LGBT+ était de fait universelle et intéressait aussi bien les cis-hétéros que les LGBT+. |
C’est ce qu’a réussi à faire Good Girls, une comédie dont la deuxième saison est sortie sur Netflix en France fin mai. Good Girls (titrée Vol à mères armées en français ?) est une série sympathique sur trois mères de famille qui décident de braquer une banque pour répondre aux besoins de leurs familles. Et comme elles ne sont pas très douées et n’ont pas toujours beaucoup de chance, les emmerdes s’enchaînent et la situation devient inextricable. Ce qui me plaît dans cette série, c’est son attention à la représentation de la diversité : de race, de corps, d’orientations sexuelles et d’identité de genre.
Il y a, selon moi, quatre façons de représenter la diversité dans un film ou série et Good Girls en maîtrise très bien trois.
La figuration diversifiée
Le monde dans lequel on vit n’est pas fait que d’hommes et femmes blanches, minces, valides et hétéros. Alors pourquoi les figurant·es devraient l’être ? Faire attention aux personnages en arrière-plan – qu’ils ne fassent que passer dans la rue ou qu’ils aient quelques lignes – c’est ce que j’appelle la “figuration diversifiée”.
Dans Good Girls, il y a une toute petite scène où une des mères, Beth (Christina Hendricks), sonne chez des voisin·es. C’est une femme en couple avec une femme qui ouvre. La voisine sort trois phrases. Fin de la scène. On passe à autre chose. Est-ce que cela change quelque chose à l’intrigue ? Non. Est-ce que cela permet à la série d’être plus réaliste ? Oui. Est-ce que cela permet de normaliser l’existence des couples homo ? Oui. ???
Le casting color blind
A l’origine, “a color blind person” est une personne daltonienne. Aujourd’hui, c’est surtout une personne qui dit ne pas voir la couleur des gens, ne pas prendre en considération leur race, pensant que cela fait d’elle une personne non-raciste, alors que cela fait juste d’elle une personne qui n’a pas compris que le racisme est tel que la race joue un rôle central dans la construction de soi et la façon dont on peut vivre sa vie, et qu’il faut donc la prendre en considération.
Dans le monde du théâtre, du cinéma ou des séries, on parle de “color blind casting” quand les responsables de casting précisent qu’un rôle est ouvert à toutes les personnes, quelle que soit leur couleur. L’objectif est bienveillant : permettre aux personnes racisées de jouer des rôles qui vont d’habitude aux personnes blanches puisque, comme nous le savons trop bien, quand la couleur d’un personnage n’est pas précisée, il va quasi systématiquement à un ou une actrice blanche.
Par extension, on parle désormais de “identity blind casting”. L’idée étant qu’un personnage dont le contexte est “neutre”, qui a été écrit sans information spécifique sur son genre, son orientation sexuelle, son poids, sa religion, etc puisse être incarné par la ou le meilleur acteur, quelque soit son apparence, et puisse avoir n’importe quelle orientation sexuelle. C’est ainsi que, dans Good Girls, l’une des trois mères, Ruby (Retta) est grosse et que l’agent du FBI est en couple avec un homme. Ces identités ne changent absolument rien dans l’intrigue – la série ne s’intéresse ni au poids de Ruby ni à la vie intime de l’agent du FBI – mais elles apportent, comme avec la figuration diversifiée, du réalisme et permettent de normaliser la diversité.

Historiquement, cette technique a permis d’obtenir des personnages
féminins, LGBT+, etc plus complexes que d’habitude car ils étaient
écrits avec un homme blanc hétéro cis en tête. L’un des premiers
personnages de femmes badass, non-définies par les hommes autour
d’elles, j’ai nommé Ellen Ripley dans Alien, est née dans ce
contexte. Tous les rôles du film avaient été écrits de façon “unisexe”
et c’est Sigourney Weaver qui a eu le rôle.
Le risque, c’est que ces personnages n’aient aucun trait de caractère
spécifique à leurs identités, que l’impact qu’ont le genre, la race,
l’orientation sexuelle ou l’apparence physique sur la construction de
soi ne soient pas pris en compte. Le identity blind casting ignore les
discriminations et la force des attentes sociétales, et ne peut donc pas
correctement représenter la réalité des personnes qui les subissent.
S’il est essentiel que les personnages neutres puissent représenter la
diversité de notre monde, il faut aussi que la réalité de nos vies soit
prise en compte. Ce qui nous amène aux “personnages marginalisés
authentiques”.
Les personnages marginalisés authentiques (non-essentiels)
Ces personnages, principaux ou secondaires, sont écrits comme
appartenant à un groupe minorisé, ce qui a un impact sur leur
personnalité et leurs actions dans la pièce/série/film, mais n’est pas
un élément essentiel de la pièce/série/film. Leur identité peut avoir
des conséquences sur la trame de l’histoire mais n’est pas
indispensable.
Dans Good Girls, le fait que Ruby soit grosse n’a aucun impact
dans la série, en revanche le fait qu’elle soit noire en a. Son rapport
avec les forces de police est forcément différent de celui qu’ont ses
amies blanches, ses relations avec les autres personnes noires aussi.
L’agent du FBI, lui aussi noir, va jouer sur ce point commun pour
l’amener à collaborer par exemple. On parle alors de “color conscious casting” puisque les rôles de Ruby et de l’agent du FBI ont été écrits pour un ou une actrice noire.
Plus proche de notre sujet, Sadie, l’enfant d’Annie, la dernière des
trois mères (Mae Whitman), se révèle être trans dans la deuxième saison.
Sadie est un enfant marqué par son identité trans, son attitude et sa
relation avec sa mère en sont les preuves. Dès la première saison, on le
voit vivre sa vie avec une attitude assez masculine, sans que cela ne
soit jamais un sujet de discussion. Dans la saison 2, il fait son
coming-out dans une scène mignonne à souhait…
Annie n’est pas surprise, elle l’avait vu venir et réagit donc avec
beaucoup d’amour et montre son soutien. Ce coming-out n’a pas beaucoup
d’impact sur le déroulement de l’histoire, il ne suscite pas de conflits
entre des personnages (tout le monde va désormais genrer Sadie au
masculin), il va simplement renforcer le lien entre Annie et son garçon.

Ce genre de personnages permet à la fois de normaliser et d’éduquer le
grand public. Ils ont aussi le potentiel d’être plus intéressants et
“relatable” (on arrive à se mettre à leur place, à se reconnaître dans
certains de leurs défis et actions) car ils sont spécifiques et évoluent
dans un contexte particulier.
Le risque est que ces personnages ne soient définis que par leur
identité minorisée et qu’ils soient unidimensionnels. Ce n’est pas le
cas dans Good Girls, où Sadie est bien plus que le personnage
trans de service, c’est un pré-ado intelligent, drôle et attachant qui
doit gérer une situation familiale pas facile.
Il existe, selon moi, un dernier type de personnages que l’on ne retrouve pas dans Good Girls : les “personnages dont l’expérience de personne minorisée est au cœur
de l’intrigue” (oui, c’est long : si vous avez des suggestions de noms
courts et efficaces pour cette catégorie, je suis tout ouïe).
Les personnages dont l’expérience de personne minorisée est au cœur de l’intrigue
On les retrouve souvent dans les “séries communautaires”. Ce sont des
personnages principaux multidimensionnels dont l’appartenance à un
groupe minorisé est essentiel à la pièce/série/film. Cela peut être
parce que leur identité est au cœur de l’intrigue, comme la bisexualité de Leila dans The Bisexual, et/ou parce qu’ils évoluent au sein de “leur communauté”, comme les hommes de Looking qui quittent rarement le Castro.
Leurs vies sont complètement LGBT+ : leurs potes sont LGBT+, leurs
loisirs et centres d’intérêt sont LGBT+, et leurs préoccupations sont
LGBT+ (HIV, travail dans un foyer pour jeunes LGBT+, regards des
collègues, etc).

Parfois, on les aperçoit dans des séries “grand public”, comme Evan/Lucas dans Skam, Ryan dans Special ou Mouse dans Les Chroniques de San Francisco.
Leur identité a un rôle déterminant dans leur vie, elle participe à
définir qui elles et ils sont et comment elles et ils vivent leur vie :
elles et ils flirtent, tombent amoureux, ont des rapports sexuels avec
des personnes du même sexe, vont en soirées gays, font des blagues
communautaires, ont des références LGBT+. La vie quoi.
Le risque, il parait, est que la série aliène, que les hétéros cis se
sentent exclu·es. L’entre-soi tout ça. Un argument qui tient de moins en
moins la route quand on voit le succès des Chroniques de San Francisco ou de Skam auprès des cis hétéros.
Tout ça pour dire, qu’une série sans personnage principal LGBT+
peut-être tout aussi puissante en terme de représentation LGBT+, de
réalisme, de point de vue, de renouveau des intrigues qu’une “série
communautaire”. Il suffit de savoir jouer avec ces différentes
catégories, de penser la diversité à tous les niveaux : de la figuration
à l’intrigue principale en passant par les personnages secondaires.
Sortez le pop-corn ? |
? Elite, Netflix
Télérama l’a nommée “la plus mauvaise teen drama de Netflix”, évidemment je l’ai dévorée avec un plaisir de moins en moins coupable. Dans Elite, des jeunes d’un lycée pauvre obtiennent une bourse pour aller dans le lycée le plus chic de Madrid. Elles et ils n’y sont pas vraiment les bienvenus. Dans le lycée Las Encinas, les étudiant·es ont des chauffeurs, travaillent dans un campus magnifique avec une piscine incroyable et customisent leurs uniformes à grand renfort de brillants, de bijoux et de décisions stylistiques saugrenues. Une fille coupe sa chemise pour la transformer en crop top, un garçon laisse sa chemise ouverte pour mettre en avant son marcel et ses bijoux de rockeur. Mais que fait la vie scolaire ? So Gossip Girl… Mais revenons à nos moutons, ou plutôt à nos boursiers. Tant de « pauvreté » perturbe les gosses de riches. La tension monte, un meurtre est commis. Qui est mort ? Pourquoi ? Par qui ? C’était le sujet de la première saison. Nos jeunes riches insupportables et nos jeunes pauvres rejeté·es essaient de continuer leurs vies, plus ou moins conscient·es que les coupables sont parmi elles et eux.
La première saison avait beau être écrite avec la même finesse (ahem) que Pretty Little Liars et Riverdale, elle abordait des thèmes intéressants comme l’islamophobie, le stigmate autour du VIH et le coming-out. Dans cette deuxième saison, ces thèmes disparaissent mais certains personnages assez sympas font leur apparition (et remplacent les insupportables Christian et Nano). Autre nouveauté : des arcs et une ambiance très Sexe Intentions entre le demi-frère qui veut coucher avec sa demi-sœur, la marquise de 16 ans qui utilise le sexe pour atteindre ses objectifs et les nombreuses baises dans des piscines. Bref, vous allez soit détester cette série, soit adorer en rire. Si je vous en parle, c’est qu’elle fait une chose de façon très intéressante : la représentation LGBT+.
Les parents de Polo, que l’on voit relativement souvent, sont un couple de power lesbians qu’on stan (case “casting color blind” cochée) et trois des cinq personnages masculins sont des ados gays ou bi qui se découvrent (case “personnage LGBT authentique” cochée). On les verra découvrir que les chemises à fleurs c’est mieux que les pulls gris (ahhh la découverte de son style post-coming out), se branler entre potes (mais juste en tant que potes hein) et gérer l’homophobie de leurs parents. La série est parfois à côté de la plaque, comme avec l’intrigue sur le Rocky Horror Picture Show, mais il y a plein de choses que j’adore : le fait que les couples gays aient autant de scènes de sexe explicites que les couples hétéros, que les mecs hétéros n’aient strictement aucun problème avec l’orientation de leurs potes, que Ander existe, etc Oulala, j’ai hâte de voir la saison 3.
L’actu paillettes ✨ |
La bande-annonce du prochain Dolan est là. J’ai hâte. [Vanity Fair]
Kevin Hart, homophobe notoire, ne comprenait pas pourquoi Lil Nas X, la nouvelle star US, avait fait son coming-out. Lil Nas X d’amour lui a cloué le bec. [AV Club]
Ryan Murphy Chéri a donné une rare interview au Time, qui en a tiré un portrait fascinant. Il y raconte pourquoi il est important de mettre en scène des personnes marginalisées et parle de l’importance de se soutenir entre outsiders. Encore une fois, il prouve qu’il est le meilleur homme d’Hollywood. [Time]
Pour celles et ceux qui préfèrent le français, Vanity Fair a fait le point sur les 10 séries, films et docus que Ryan Chéri prépare. Ce sera très LGBT-friendly. [Vanity Fair]
#RentréeLittéraire L’excellent Conversations with friends, dont je vous parlais en décembre, est enfin traduit en français ! Foncez. [Huffington Post]
A l’occasion de la Fashion week de New York, Indya Moore a porté des boucles d’oreille faites de 16 photos des femmes trans tuées cette année et prononcé un discours magnifiquement politique. Merci. [Paper]
La huitième saison de Parents mode d’emploi a commencé hier soir sur France 3. Désormais, la série de sketchs comptera une famille homoparentale. Je suis à deux doigts d’allumer la télé. [20 minutes]
Le quart d’heure musical ? |
Cette semaine, Lil Nas X a sorti le clip très futuriste de son deuxième single, où il se demande pourquoi ses fans sont méchants avec lui. A ma grande surprise, le dernier album d’Adam Lambert est bon et son clip funky.
Le coup de cœur revient à Keiynan Lonsdale. Depuis son coming-out, l’acteur de Love, Simon a bien changé, d’où sa décision, en 2018, de quitter la série The Flash. Désormais queer AF, il sort une chanson et un clip honnête et perruqué sur sa nouvelle vie. YES!
A retrouver sur Spotify et Deezer.
Hasta la próxima semana cariñ@s (oui, je balance de l’écriture inclusive espagnole, what did you expect?).
Aline