La semaine dernière, je vous parlais du traitement de Thomas Barrow, seul personnage queer de Downton Abbey et vilain principal de la série. Il s’agit là d’une vieille tradition. Individu ne respectant pas les normes, le gay a longtemps été perçu comme une menace au bon fonctionnement binaire de la société. Le gay était un danger, un prédateur qui voulait entraîner le plus d’hommes possible dans sa chute. Il était donc le méchant parfait. Ce « trope », figure narrative, a été à son plus fort entre les années 30 et 60, quand Hollywood était régi par le code Hays, une réglementation qui censurait aussi bien la perversion sexuelle que le blasphème ou la nudité. Dans ce contexte, les seuls hommes et femmes non-hétéros admis à l’écran devaient être des épouvantails, des figures à éviter. Être queer, c’est mal, vous autres. Be straight. Le code Hays perd progressivement de sa pertinence et fini par être abrogé en 1966. Mais il n’a pas vraiment disparu. 50 plus tard, il continue de hanter Hollywood.

Vous avez probablement déjà beaucoup entendu parler de Joker, le film de Todd Phillips en salles mercredi. Il raconte comment Joker, l’ennemi de Batman, est devenu l’être instable au sourire effrayant que nous connaissons. Il a été reproché au film d’être complaisant avec son personnage, d’en faire une victime de la société pour qui la violence est le seul moyen de reprendre du contrôle et d’obtenir respect et bonheur. Je suis tout à fait d’accord – je me serais bien passée de cette défense du droit des hommes blancs mal-aimés à être violents. C’est particulièrement enrageant étant donné le contexte : le Joker est l’idole des “incels”, ces hommes misogynes ayant recours à la violence pour se venger des femmes.

Pourtant, ce qui m’a mis le plus mal à l’aise, c’est la façon dont Joker est mis en scène. Ce ne sont pas seulement ses propos, son obsession pour sa voisine ou la violence dont il est capable qui le rendent effrayant mais aussi le rapport avec son corps. Entre son dos voué, ses maniérismes, ses tenues flamboyantes, son goût pour la danse, Joker rappelle les pires caricatures d’homosexuels. Cette homosexualité sous-entendue est écrite pour rajouter à la peur qu’il inspire. Joker dérange car il refuse de rentrer dans la norme de la masculinité. Il faut être fou pour se comporter de façon si queer.

Est-ce que Todd Phillips a réalisé qu’il faisait de son Joker, un cliché du gay efféminé ? Qui sait. Peut-être était-ce volontaire. Après tout, il s’agit du réalisateur de Very Bad Trip et d’un homme qui a déclaré cette semaine qu’on-ne-peut-vraiment-plus-rien-dire, pas vraiment un allié donc. Peut-être était-ce inconscient. Dans tous les cas, ce n’est pas une première. Le Joker a souvent été un personnage efféminé, parfois même un prédateur gay qui semble vouloir séduire ou mettre mal à l’aise Batman.

Le Joker est loin d’être le seul méchant codé gay ou bi. En anglais, on parle de « queer-coded villain« . Les fans de Hitchcock pensent à Norman Bates dans Psychose, les meurtriers dans La Corde ou l’homme de main dans La Mort aux trousses. Les Disneyphiles penseront à Scar dans Le Roi Lion, Jafar dans Aladin ou Shere Khan dans Le Livre de la Jungle. La liste est longue et continue de s’allonger de nos jours. Entre Raoul Silva (Javier Bardem) dans Skyfall, LeFou dans La Belle et la Bête et Black Mask dans le prochain Birds of Prey de DC Comics, on est servi·es… Tous sont des sociopathes solitaires, des hommes intelligents et manipulateurs qui parlent et se mouvent d’une façon “efféminée”. Ils aiment l’art et ont un style vestimentaire impeccable. C’est sûr, s’ils avaient eu une femme et faisaient du football, il ne serait pas devenu si dangereux.

Franchement, il serait temps de passer à autre chose. Ne pas correspondre aux normes de genre n’est pas un danger pour la société.

Sortez le pop-corn ?

? Transparent sur Amazon Prime

La famille Pfefferman

Après quatre saisons, la série Transparent a tiré sa révérence avec un téléfilm musical, une fin atypique et étrange pour une série inclassable. Lorsque la série est sortie en 2014, elle a fait l’effet d’une claque. Une série sur le coming-out trans d’un père de famille, qui plus est écrit avec réalisme et subtilité : personne n’avait jamais vu ça. Le plus audacieux dans l’affaire, c’est que Transparent ne voulait pas seulement raconter un coming-out, mais intégrer le sujet à d’autres thèmes tout aussi complexes : les liens familiaux, l’identité juive, les traumas dont on hérite ou encore la recherche du bonheur. Expérimentale, la comédie proposait une mise en scène quasi-spirituelle et onirique où les flashbacks se mêlaient au présent. D’un point de vue artistique, Transparent a changé le monde sériel. Mais ici, c’est sa dimension queer qui nous intéresse.

Pour séduire un public peu habitué et intéressé par les thématiques trans, Jill Soloway, qui a créé la série en s’inspirant de son histoire familiale, a fait appel à un acteur cis très connu aux Etats-Unis : Jeffrey Tambor. La fatigue… Heureusement, il ne s’agissait pas du seul personnage trans. Au cours de ces trois saisons, Transparent a donné vie à plusieurs personnages trans, joués par des acteur·ices trans, permettant de voir différentes approches à la transidentité, différentes histoires de vie, différents points de vues. Ces personnages transgenres vivaient des vies épanouissantes et avaient des sexualités saines, avec des personnes trans et cis. Incroyable ! La série donnait autant d’importance au père qu’aux enfants de la famille, eux aussi majoritairement queers. Deux d’entre eux étaient bisexuels et un s’est affirmé progressivement comme non-binaire (suivant la transition de Jill Soloway iel-même non-binaire). Dans Transparent, tout le monde est à l’aise avec les identités LGBTQ+ des autres, être queer est un fait qui a des conséquences sur la vie des personnages mais n’est jamais traité comme une anomalie. 

Si la série pouvait traiter avec tant d’authenticité de queerness, c’est que Jill Soloway a tout fait pour créer une expérience safe pour les personnes travaillant sur cette série, un lieu où chacun·e était accepté·e quel que soit son pronom, son identité ou sa spiritualité. Si ce n’était pour la présence de Jeffrey Tambor, l’expérimentation aurait pu être un succès, comme le raconte ce bel article de Vulture

Depuis sa sortie, le monde a bien changé. De nombreuses séries ont des personnages trans parmi leurs rôles principaux. Leur transidentité n’est qu’un des éléments qui les définissent, ces personnages sont complexes et contextualisés. Pose a même un casting majoritairement trans ! Aujourd’hui, Transparent semble presque daté, et c’est là son plus grand legs.

? Big Mouth sur Netflix

Le dessin animé qui traite de la puberté sans prendre de pincettes est de retour. Cette troisième saison n’est peut-être pas aussi bien rythmée que les premières, mais son ton audacieux et son approche à la sexualité et au corps fonctionnent toujours aussi bien. Big Mouth prend, plus que jamais, le temps d’explorer les vies des personnes LGBTQ+. Andrew, le gay du collège, a un rencard – et tout ce passe très bien. Une nouvelle arrive à l’école et elle est… pansexuelle ! Cela donne le courage à Jay de faire son coming-out bisexuel. L’épisode centré autour de ce coming-out est à mettre entre toutes les mains. La série ne se contente pas de définir la bi/pansexualité avec humour, elle met aussi en lumière les difficultés que rencontrent les hommes et les femmes bi dans une société toujours binaire.

Aussi au programme : le faux-féminisme, l’orgasme féminin, la dépression, et un épisode de Queer Eye. Oui, vous avez bien lu Queer Eye.

L’actu paillettes ✨

Pour sa saison 8, l’émission de dating Are You the One? de MTV n’a sélectionné que des participant·es sexuellement fluides. Les présentateurs queers du podcast Still Processing y voit une expérimentation fascinante qui permet d’imaginer ce à quoi ressemblerait le monde s’il était moins sexiste et binaire. [Still Processing]

Tegan et Sara expliquent pourquoi elles ont décidé de faire un album composé uniquement de chansons qu’elles avaient écrites ado. [Nylon

Russel T Davies (Queer as Folks, Years and Years) a annoncé sa prochaine série : The Boys. Elle sera hyper gay. On y retrouvera notamment les acteurs gays Olly Alexander, Stephen Fry et Neil Patrick Harris. [Têtu]

Time Magazine est allé à la rencontre d’acteurs trans et leur a demandé ce qu’ils voulaient. Les choses ont définitivement bien changé depuis le lancement de Transparent. [Time]

Bilal Hassani a sorti une autobiographie et elle a l’air passionnante. S’il ne fallait garder qu’une phrase : « les hommes ont inventé la norme pour se rassurer et pour en faire un instrument de domination ». [20 minutes]

Le crush unicorn : Ben Platt ?

 Si vous avez été ému·e par Ben Platt dans The Politician, c’est tout à fait normal. Passionné de théâtre et comédie musicale depuis l’enfance, Ben Platt n’est pas un débutant. Avant de fêter ses 25 ans, il avait déjà empoché un Tony, un Grammy et un Emmy pour son interprétation du héros de la comédie musicale Dear Evan Hansen. Cette année, il a aussi sorti un album, Sing to me, où il parle d’amour au masculin. C’est aussi grâce à lui si The Politician sonne tellement vrai malgré son scénario rocambolesque. En tant que producteur exécutif, l’acteur a participé au casting des jeunes acteur·ices et a fait en sorte qu’elles et ils soient proches IRL pour améliorer leurs interprétations. Je ne vais pas vous le cacher, je suis obsédée par leurs photos de vacances ensemble. Vive Instagram. Ben Platt est aussi le BFF de Beanie Feldstein, notre nouvelle reine queer (Lady Bird, Booksmart). Je pourrais passer des heures à lire des interviews sur ces deux-là.

Le quart d’heure musical ?

Et cette semaine, une playlist 100% queer, 100% meuf. Avec notamment, une chanson de l’étonnante SOPHIE qui a marqué le défilé Louis Vuitton lors de la Fashion Week. A retrouver sur Spotify et Deezer.


Rendez-vous la semaine prochaine pour un numéro spécial !

Aline