Ma semaine a été marquée par deux visionnages qui n’ont rien à voir et en même temps tellement en commun : les trois saisons originales de la série aux accents soap opéra Les Chroniques de San Francisco, disponibles sur Netflix depuis une semaine, et le très beau film biographique d’époque Vita & Virginia, en salle mercredi. 

Quand j’ai vu que Netflix avait rajouté à son catalogue les trois premières saisons des Chroniques de San Francisco, aussi connue sous le nom de Tales of the City, je me suis ruée dessus. La première saison, sortie en 1993, en particulier avait causé un tel scandale à l’époque, je me devais de la regarder pour comprendre. En 1976, le jeune journaliste Armistead Maupin écrit un feuilleton dans le San Francisco Chronicles. Il imagine la vie d’une dizaine de personnes vivant à San Francisco en se basant sur ce qui se passa dans sa ville. Les gens se draguent au supermarché, il l’intègre, les hommes gays vivent leur meilleure vie, il l’intègre, les jeunes fument de la marie-jeanne à tout-va, il l’intègre. Et se faisant, il change la façon dont les personnes LGBTQ+ sont perçues et se percoivent aux Etats-Unis (il faut voir le documentaire Netflix qui lui est dédié). En 1993, la chaîne publique américaine PBS sort une version sérielle de ce feuilleton. Les tradi se révoltent : une telle perversion des mœurs est inacceptable, c’est Sodome et Gomorrhe all over again. Sous la pression de ces terroristes, PBS décide de s’arrêter là. Showtime reprend le flambeau et diffuse une deuxième puis une troisième saison en 1998 et 2001.

Ces trois premières saisons sont hautement bingeables. C’est du soap opéra LGBTQ+, avec des personnages attachants, de la musique dramatique, des retournements de situation de folie et des dévoilements de secrets inattendus. Le genre de séries qui vous fait pousser des “naaaaan” et des “whaaaat”. Ce que j’ai le plus aimé cependant, c’est ce que la série dit des années 70, quand le feuilleton a été écrit, et des années 90, quand la série télé a été réalisée. 

Ce qui surprend quand on connaît le tollé qu’a provoqué la saison de 93, c’est la pudeur de la série. La première saison is so straight. Elle ne compte pendant longtemps qu’un seul personnage principal LGBTQ+, Mouse, et celui-ci n’échange que de chastes bisous avec son mec. On est loin des scènes de sexe auquel il aura le droit dans la version 2019… Le deuxième personnage LGBTQ+ est dévoilé à la fin de la saison 1. [alerte spoiler ?]. Depuis le début de la saison, nous savons qu’Anna Madrigal a un secret. Un air de mystère entoure la quinquagénaire. Que peut-elle donc cacher ?Attention, explosion du cerveau : elle n’a pas toujours été une femme ! Sa transidentité est un l’élément choc de ce mini-soap opera. Le mot “transexuel” n’est jamais prononcé, on comprend qu’Anna est transgenre parce qu’elle dévoile son nom d’avant, son “deadname” ou “morinom” en français. Bonjour les années 90. [fin spoiler] La série est évidemment hyper blanche, mais elle compense en se moquant amplement des racistes et en donnant de l’importance au vécu des personnes non-blanches.

A d’autre moment, la série est incroyablement moderne et c’est là qu’elle s’approche de Vita & Virginia. Les personnages gays ne sont pas politiquement corrects, ils baisent tout le temps et partout, et parlent crûment. Ils n’essaient pas d’être normaux, il y a une fierté, une envie d’être soi qui est affirmée constamment. La scène ultra émouvante du coming-out de Mouse en est un exemple frappant (c’est aussi un moment de télé qui a marqué son époque). Mais la série est loin de se limiter au personnage gay de Mouse. Elle donne des rôles importants à une lesbienne de couleur, une bourgeoise bisexuelle, une quinquagénaire trans mais aussi à des personnages fluides. Toutes les lettres de l’acronyme sont représentées et plus encore. Il y a aussi une hétéro qui vit une histoire d’amour avec une lesbienne même si elle ne se sent pas attirée par elle sexuellement et un homme qui couche avec des hommes et des femmes sans qu’on soit capable de lui mettre une étiquette. Les Chronique de San Francisco reflètent la libération sexuelle des années 70 et toute la fluidité qui accompagnait cette période.

Mrs Madrigal dit à Mary Ann : You are one of us then

On retrouve la même chose dans Vita & Virginia, film anglo-irlandais de Chanya Button, qui raconte l’histoire d’amour entre les autrices Virginia Woolf (Elizabeth Debicki) et Vita Sackville-West (Gemma Arterton). Une fois leur romance intense arrivée à sa fin, probablement à l’été 1927, Virginia a écrit son plus grand succès, Orlando, en s’inspirant de Vita. Leur amour s’est transformé en une amitié magnifique qui durera jusqu’au suicide de Virginia

Expérience sonore et visuelle, ce film nous plonge dans leurs échanges épistolaires, leurs rencontres, leurs caresses. On y sent la tension de leur désir, l’urgence de leur art. On y découvre aussi leur liberté. Chacune vit des relations épanouies et amoureuses avec leur mari et ont le droit de vivre des relations à côté. Vita est une séductrice qui s’habille parfois en homme et enchaîne les relations, avec des hommes, avec des femmes, avec des couples. Son mari, lui, a un amant. Virginia exprime sa liberté dans sa relation avec son mari d’une tout autre manière. Elle ne veut ni rapport sexuel ni enfant avec lui, et cela ne leur pose pas de problème. Le film laisse aussi de la place à leur entourage comme la belle soeur de Virginia qui vit avec son mari, ses enfants et son amant bisexuel. Aucune de ses relations n’est cachée, elles sont même discutées autour d’un verre de vin avec leurs proches et prises au sérieux.

Plus que la mise en scène d’une histoire d’amour dévorante entre deux femmes aux antipodes, Vita & Virginia propose une réflexion sur les formes de l’amour. Le film montre qu’il peut s’exprimer avec ou sans rapport sexuel, dans le mariage et en dehors, sous forme de romance et d’amitié. Ce film est un hommage à la fluidité des rapports amoureux et aux genres, à une époque où les étiquettes n’existaient pas encore et le désir devait s’inscrire dans le cadre d’un mariage femme/homme. Les biopics sur les personnes LGBTQ+ du passé en tellement à nous apprendre, je suis ravie qu’ils soient à la mode.

On a tendance à assimiler la fluidité du genre et la fluidité sexuelle avec la modernité, comme si, les personnes non-binaires, polyamoureuses et pansexuelles réinventaient l’amour et l’expression du genre. Ces séries et films prouvent que la fluidité a toujours été là, qu’elle fait partie intégrale de qui nous sommes.

Sortez le pop-corn ?

? Chris, dans La Poudre

Photo de Chris(tine) and the queens

 Dans le podcast La Poudre, Héloïse Letissier nous parle de son rapport à sa queerness. Elle raconte comment son rapport au genre l’a poussée à construire ses alter-ego de Christine and the Queens et de Chris, et comment sa pansexualité a nourri son travail. Elle discute de la façon dont son expression de genre a obsédé une France complètement dépassée et sexiste. A ne pas rater. C’est à écouter ici.

 

L’actu paillettes ✨

  • Lil Nas X, la nouvelle star du rap et de la country (oui, oui, les deux à la fois) a fait son coming-out et c’est hyper important. Mais pourquoi cette histoire fascine-t-elle tant les Etats-Unis ?  [20 minutes
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  • Tom Holland, la star hétéro du dernier Spider-Man (que je vous recommande) pense que les films de super-héro·ïnes doivent aller au-delà du “mec blanc hétéro” (et promet que Marvel a changé). [Out]
  • Mais qui est Murray Bartlett, l’acteur gay qui joue Michael “Mouse” Tolliver dans Les Chroniques de San Francisco ? [Plus]

 

Le quart d’heure musical ?

Et comme chaque semaine, une sélection de chansons d’artistes queers. A écouter allongé·e sur une pelouse ou au bord de l’eau. Rendez-vous sur Spotify et Deezer.

 

Summertime in Paris de Jaden - Movin on Now de Kiddy Smile, SWEET de BROCKHAMPTON, Through enough de VanJess et Mnek, et Otra Era de Javiera Mena


Il est déjà l’heure de se quitter, à la semaine prochaine mes anges.

Aline

La scène se fait noire sur Chris