On s’en doutait vu le succès de Queer Eye et RuPaul’s Drag Race, c’est désormais officiel : être queer, c’est cool. Lundi dernier, le très attendu MET Gala, une soirée annuelle organisée par Anna Wintour, patronne du Vogue américain, dans le célèbre musée new-yorkais, avait pour thème “Fashion: Notes on Camp”, une référence à l’essai de Susan Sontag : Notes on Camp.

Mais qu’est-ce que le camp ? C’est un comportement, un style, une philosophie qui consiste à approcher la vie de façon exagérée et théâtrale délibérément. C’est voir la stupidité de notre société et en rire. C’est se jouer des conventions de genre. C’est en faire trop. C’est se ficher du ridicule. C’est se rire du mauvais du goût. C’est faire preuve d’auto-dérision. C’est bien sûr les drag queens mais aussi Lady Gaga, Oscar Wilde, Lil Kim, Arielle Dombasle, Cher, 8 femmes. Le camp a de nombreux visages comme l’explique bien cet article de 20 minutes.

Intrinsèquement, le camp est queer. Si certaines femmes maîtrisent le camp, ce genre est plutôt la chasse gardée des hommes gays. Je vous recommande très, très vivement de lire ce thread Twitter brillamment écrit par Marguerin. Il y explique la sensibilité camp des LGBT+ par une prise de hauteur face aux rôles de genre par nécessité, une habitude de jouer avec les codes sociaux pour survivre et une utilisation de l’humour pour résister. Il décrit le camp comme “une prise de hauteur « folle » sur la culture dominante hétérosexuelle, pour la déstabiliser”.

Bref, ce MET Gala, c’était le moment pour les stars LGBT+ de briller. Et elles et ils ont réussi. Billy Porter, l’acteur de Pose, est arrivé tel un pharaon doré porté par six hommes à moitié nus, avant d’étendre ses ailes sur le tapis rouge. Cet homme vraiment, je ne m’en remets pas…

Ryan Murphy chéri rendait hommage à l’ultra camp Liberace. Ezra Miller a toisé l’audience avec ses 7 yeux, un magnifique maquillage qui a nécessité cinq heures de travail (les coulisses ici). Tessa Thompson a fait rimer campy et kinky avec une tresse-fouet. Janelle Monae a prouvé qu’on pouvait être vêtue de noir et blanc et être incroyablement camp. Cara Delevingne était un arc-en-ciel dandy à bananes. Laverne Cox adorait Notes on camp ado et a accessoirisé son port de tête royal avec une perruque bleue. Michael Urie, l’acteur d’Ugly Betty, était habillé d’une tenue bi-goût : à gauche une robe rose à froufrou, à droit un costume noir, un beau rappel de la place du genre dans le camp. Quant à Frank Ocean… il est libre à vous de décider si arriver en k-way noir avec un appareil photo était camp ou pas (je dis oui).

Certaines célébrités queers ont rappelé la valeur politique du camp. RuPaul n’est pas venu en drag pour une excellente raison. La prolifique Lena Waithe, accompagnée du designer Kerby Jean Raymond of Pyer Moss, s’est de nouveau assurée que le rôle des afro-queers ne soit pas oublié. Au dos de son costume était brodé “Black drag queens inventend camp”. Quant aux rayures de son costume, elles reprenaient les paroles de chansons cultes de musicien·nes noir·es comme “I’m coming out” de Diana Ross et « Might Real » de Sylvester. Slay ! Il faut lire cet article de Buzzfeed sur la négation du camp des Afro-Américain·es, elles et eux qui ont pourtant tant donné au camp moderne.

Les célébrités queers ont partagé le spotlight avec quelques allié·es à la culture gay impeccable, que ce soit la mother queen Lady Gaga (il faut regarder la vidéo de sa montée des marches en quatre tenues), l’hétéro malgré lui Darren Criss (quel panache cette tenue), la révélation de l’année Lizzo (si ce n’est pas déjà fait, allez écouter son album !), la badass Danai Gurira (dont l’hommage à Dorian Grey rappelle les origines du camp), la country Kacey Musgraves ou l’étrange Jared Leto (que va-t-il faire de sa deuxième tête ?).

Et prix spécial pour la magnifique Lupita Nyong’o, héroïne des tapis rouges, reine de l’audace, déesse du style, qui ! attention scoop ! serait probablement en couple avec Janelle Monae au vu de leur fricotage lors de l’after du gala. Quelle histoire !

Vous pouvez retrouvez les photos de toutes ces tenues sur Variety (et apprécier les tenues de Kerry Washington, Ciara, Jemima Kirke, Lena Dunham, Florence Welch qu’on n’a pas suffisamment vues dans les médias).

Exception faite de ces génies, les hétéros ont brillé par leur incapacité à comprendre le thème. Pour être camp, il ne suffit pas de mettre une robe à sequins avec un “truc” très haut sur la tête, une combi à épaulettes, un costume noir avec des diamants ou une robe à traine et plumes. Ou de se déguiser en chandelier (ahem Katy Perry).

Ce que le MET Gala rappelle, c’est qu’il existe une “culture gay” parce que nous ne nous reconnaissions pas dans la culture mainstream et avons dû créer la culture dont nous avions besoin. Le camp, la culture gay, la culture gouine sont liées à qui nous sommes, à nos parcours de vie, notre rapport au genre, à la façon dont la société nous perçoit et nous regarde. Certain·es hétéros qui ont grandi dans les marges, avec une certaine sensibilité au genre et à la différence, comprennent nos cultures. La grande majorité passe à côté. C’est à la fois parce que cette culture ne leur parle pas, que ce n’est pas leur truc, et parce que foncièrement les vies des personnes des LGBT+ ne leur semblent pas si importantes. D’où cette flemme généralisée sur le tapis rouge : flemme de s’informer sur ce qu’est le camp, flemme de sortir de sa zone de confort, flemme d’oser.

La plus grosse flemme d’entre toutes était celle de Rami Malek et Taron Egerton. Comment des hommes qui ont joué les icônes du camp Freddy Mercury et Sir Elton John ont-ils osé se contenter d’un costume noir avec quelques reflets scintillants ? N’ont-ils pas essayé de comprendre ces icônes gays ? Ont-ils essayé mais échoué ? Sont-ils simplement paresseux ? A moins qu’ils manquent fondamentalement de fantaisie et d’intelligence de soi ? Peut-être ont-il peur qu’en jouant le jeu, ils soient pris pour des hommes gays ?

Certaines personnes redoutent que cette mise en avant du camp conduise à une appropriation du camp par le mainstream qui perdrait alors sa subversivité et sa critique culturelle. J’ai dû mal à imaginer les hétéros comprendre suffisamment le camp pour le reproduire, même en version édulcorée. Comme le rappelle le critique de mode Tom Fitzgerald à Variety “I don’t think actors and fashion people and celebrities generally understand what camp is. They’re the people who produce camp inadvertently — they’re not the people who can deliberate produce it.”

Sortez le pop-corn ?

? Bonding, Netflix

Étudiante le jour, dominatrice la nuit, Tiff (Zoe Levin) engage Peter (Brendan Scannell), son ancien meilleur ami de lycée désormais serveur anxieux, comme assistant. En sept petits épisodes, Tiff, va apprendre à s’ouvrir et accepter sa vulnérabilité, et Peter à prendre confiance en lui et s’affirmer. Une série qui se dévore en une soirée et reste dans la tête le lendemain.

Certaines personnes concernées ont reproché à la série d’avoir trop fictionnalisé le BDSM et d’en proposer une vision incorrecte, d’autres sont contentes que la série dédiabolise cette pratique. Moi ce qui m’importe, c’est d’avoir vu Peter torse nu avec ses petites boucles rousses qui dépassent de son chapeau de cuir. J’ai donc trouvé mon kink : je suis peterophile. Le jour, je suis Brendan Scannell, son interprète gay, sur Instagram.

? Priscilla, folle du désert, de Stephan Elliott

Plutôt que d’aller voir Les Crevettes Pailletées, pâle copie homophobe-friendly de Priscilla, folle du désert, (j’ai publié à ce sujet un article détaillé sur Slate), allez voir ou revoir ce monument de la culture gay. A l’ocacasion de ses 25 ans, ce petit bijou est de nouveau à l’affiche des cinémas. Il raconte l’épopée d’une troupe de drag queens traversant l’Australie dans un bus baptisé « Priscilla » pour donner une représentation à Alice Springs. Véritable ode à la culture camp, ce road-trip queer prouve qu’on peut faire un film sur des hommes gays fem et des femmes trans sans tomber dans les clichés.

Aussi, vous noterez que j’ai réussi à vous parler de films, séries et musiques australiennes dans chaque épisode de cette newsletter depuis que j’y suis. Je mérite un calin avec un koala (ou Chris Hemsworth).

 

L’actu paillettes ✨

J’AI HÂTE ! Robyn Crawford, aka le true love de Whitney Houston d’après toustes les fans, va sortir en novembre prochain son mémoire : A Song for You : My Life With Whitney Houston. Aura-t-on enfin confirmation de leur histoire d’amour ? [20 minutes]

La direction Marvel semble enfin prête à prendre des “risques”. D’après les frères Russo, un personnage devrait bientôt officialiser son homosexualité. J’espère que ce sera deux personnages, et que ce sera Captain Marvel et Valkyrie, et qu’elles se feront des bisous. [Entertainment Weekly]

Plutôt que de shamer Pierre Palmade, il faudrait profiter de cette affaire gay/homo pour s’interroger sur les modèles LGBT+ que nous avons en France, comme le propose le journaliste Matthieu Foucher. [Twitter]

Pendant qu’en France, on se coltine Pierre Palmade, les Britanniques ont Ian McKellen, Derek Jacobi et Stephen Fry, trois acteurs d’un âge certain qui utilisent leur célébrité et leur humour pour faire avancer la cause. Didier Lestrade, le cofondateur d’Act Up-Paris, est jaloux. Moi aussi. [Slate]

Calvin Klein a résumé I like that en une vidéo ! Le nouveau spot de la marque androgyne invite les stars LGBT+ et hétéro-fluides qui nourrissent cette newsletter à “speak their truth”. On y retrouve notamment Troye Sivan, Shawn Mendez, Indya Moore, Noah Centine-ohhh, Kevin Abstract. J’ai presque envie de ressortir les affiches CK One qui recouvraient les murs de ma chambre d’ado. [Tetu]

En voilà de la bonne nouvelle : l’acteur trans Adrien de la Vega va jouer un personnage cis dans la série L’Art du Crime sur France 2. [Twitter]

Greg Berlanti, réalisateur de Love, Simon et créateur de Riverdale et The Chilling Adventures of Sabrina, confirme que Hollywood ne veut pas d’acteurices LGBT+ out. Alexis Patri en profite pour signer sur Têtu un bel article sur ces stars qui en ont souffert. [Out / Tetu]


N’oubliez pas : l’Eurovision, c’est le weekend prochain. Ma recommandation : allez dans un bar rigoler avec les fans européen·nes (et australien·nes) ou organisez une soirée chez vous. Et surtout, VOTEZ BILAL !!!

Aline