Combien de séries connaissez-vous dans lesquelles le ou les personnages principaux sont des personnes LGBT+ racisées, handicapées, issues de l’immigration, ayant des troubles mentaux ou des corps atypiques ? Pas beaucoup, hein ?

Nous sommes en 2019 et les personnages appartenant à plusieurs groupes minorisés sont toujours relégués aux rôles secondaires (oh hi, le “black gay best friend” !). Les personnages principaux sont priés de ne connaître qu’un seul type de discrimination, qu’un seul éloignement aux normes. On peut ainsi avoir une série sur une lesbienne à condition qu’elle soit blanche ou une série sur une famille issue de l’immigration à condition que ses membres soient hétéros et valides. Alors forcément des séries comme Pose, dont la saison 2 vient de commencer sur MyCanal, et Vida, dont la saison 2 a été diffusée d’un coup le 23 mai sur Starz aux Etats-Unis, sont des petits miracles.

Vida, tristement inédite en France, suit un groupe de femmes latinx, à majorité queers, vivant dans un quartier latino de Los Angeles. Suite au décès de leur mère, Lyn et Emma Hernandez doivent revenir dans le quartier de leur enfance. Elles y découvrent que leur mère était lesbienne, qu’elle s’était mariée avec une femme plus jeune et que le bar familial dont elles ont hérité est en mauvais état. Cela fait beaucoup à digérer, surtout pour Emma, une carriériste queer rejetée par sa mère.

Vida est une très belle série, avec des personnages complexes, des tensions familiales, un rythme soutenu, une réalisation lumineuse et une culture inédite. La série est, en effet, ancrée dans la vie d’un quartier latino. Les personnages entre-coupent leurs phrases d’espagnol, respectent leurs ainé·es et les traditions, vont voir la brujeria et mangent des plats mexicains. Dans Vida, le regard est profondément latinx : rien n’est jamais expliqué, rien n’est jamais traduit. Vida est là pour mettre en scène le quotidien de ses personnages, pas pour offrir aux spectateurs et spectatrices blanches une version gentrifiée de leurs vies. Quelle puissance.

Vida sent bon le queer. La série met en scène des lesbiennes fem, des femmes butchs, des gays gender-queers et une pansexuelle qui n’aime pas les étiquettes (mais aime bien le très sexy Raùl Castillo, aka Richie dans Looking), le tout avec réalisme. Grâce à la présence massive de scénaristes LGBT+ dans la writers room, la série dépeint la vie des personnes LGBT+ avec réalisme. Les personnages évoluent dans un monde qui leur ressemble, un monde fait de soirées queers, de débats sur ce qu’est une “vraie lesbienne”, de confessions sur l’oreiller, de relationship dramas et de parties de jambes en l’air. Les nombreuses scènes de sexe débordent de petits détails parfaits, de la mise d’une capote sur un vibro au lavage de mains avant une pénétration digitale. De quoi rendre l’hygiène sexy.

Mais revenons à l’intersectionnalité. Dans Vida, les personnages ne sont pas queers d’un côté et latinx de l’autre, leur façon d’être queers est imprégnée par leur existence dans un quartier latino. Cela se ressent particulièrement lors de d’une cérémonie de mariage durant laquelle des “vaqueros” gender-queers sirotent des cocktails appelés “Homo on the Range” et “Brokeback Mountain Mule” à côté de drag queens et de vétérans de guerre. Je rajoute ça tout de suite à mon Pinterest.

Le fun fact des fans : Tanya Saracho, créatrice de Vida et scénariste sur Looking, connait très bien Raùl Castillo : c’était son premier petit copain ! Le sad straight fact : Raùl Castillo est hétéro.

Autre série magnifiquement intersectionnelle : la déjà-culte Pose. Dans la série FX, les personnages appartiennent à la “ball culture” parce qu’elles et ils sont gays et/ou trans, racisés et ont besoin d’une safe space. Cette communauté et cette culture leur permettent de respirer, de se soutenir, de rire de leurs discriminations et de reprendre contrôle. Le fait qu’une série si queer et racisée existe constitue un cadeau des divinités, une divinité nommée Ryan Murphy chéri (je vous raconte son génie sur Komitid). Le producteur out a été, en effet, le seul à voir qu’une série sur une culture niche pouvait toucher le grand public si elle était réalisée avec authenticité. La saison 2 a repris sur MyCanal – je vous en parle plus bas.

D’autres séries ont mis en scène des personnages appartenant à plusieurs groupes minorisés avec succès mais ces personnages sont souvent secondaires. Dans Master of None, Denise, une butch afro-américaine, nous invitait à passer Thanksgiving dans sa famille. Dans Looking, Richie emmenait son gringo de petit copain chez la brujeria. Dans I Love Dick, l’identité butch de Devon (jouée par la très sexy Roberta Colindrez aussi au casting de la saison 2 de Vida) est influencée par la masculinité des cowboys qui l’entourent. Dans l’excellente sitcom One day at a time, Elena, une adolescente lesbienne élevée dans une famille cubano-mexicaine, décide de porter un pantalon à sa quinceanera (je vous rassure, sa grand-mère survit à ce choc).

Il existe d’autre points d’intersection que l’immigration ou la race et les identités LGBT+. Ainsi Special, une série Netflix sortie en avril, raconte l’entrée dans la vie active de Ryan, un vingtenaire gay atteint de paralysie cérébrale. Cette série met aussi bien en scène sa vie sexuelle que sa vie professionnelle et c’est du jamais-vu (je vous en avais parlé longuement).

Toutes ces séries merveilleuses ont un point en commun : elles ont été écrites par des personnes concernées. La showrunneuse de Vida, Tanya Saracho, parle très bien de la différence que cela fait de travailler avec une équipe 100+ latinx, essentiellement féminine et massivement queer, que ce soit dans la writers room, aux costumes ou à la prise de son.

Ces séries sont importantes car elles offrent aux personnes concernées une possibilité de se voir à l’écran, de voir leurs identités mises en scène avec beauté et de ne plus se sentir invisibles. Aux Etats-Unis, comme le rappelle Vulture, 18% de la population est latina. Comment expliquer, comment accepter que ces personnes ne soient pas plus visibles à l’écran ?

En mettant en scène la vie de ces communautés, ces séries permettent aussi d’éduquer les autres. Elles montrent que le modèle dominant – blanc, aisé et valide – n’est pas le seul ! Qu’il n’y a pas une façon d’être LGBT+ mais plein ! Que nous ne sommes pas « une communauté LGBT” mais un ensemble d’individus marqués par des cultures et des contextes différents. Mind. Blown. 

Mais ces séries ne sont pas des documentaires, ce sont des moments de divertissement. Que cela fait du bien de regarder des histoires fraiches que l’on n’a pas vu dans 50 séries avant, de sortir de sa bulle et de vivre d’autres vies que la nôtre.

Sortez le pop-corn ?

? Pose, FX

La deuxième saison de Pose a repris avec un premier épisode dense, énervé et émouvant. Alors que la première saison s’occupait de nous présenter la “ballroom culture”, la seconde s’intéresse aux changements auxquels fait face la communauté LGBT+ dans le début des années 90 et ce que cela veut dire pour les personnages de la série. En 1990, quand la série reprend, Madonna a sorti son tube “Vogue” en s’inspirant des ballrooms, l’épidémie du SIDA décime New York, les autorités ne font rien et Act Up organise des “die-in”.

Les cinq scénaristes gays et/ou trans de Pose prouvent encore une fois leur capacité à intégrer l’histoire LGBT+ et les enjeux que connaissent les personnes gays et/ou trans noires dans un récit touchant et universel. Cette saison aborde aussi bien le traumatisme de voir ses ami·es tomber comme des mouches dans l’indifférence la plus totale que la solidarité de la communauté. De la représentation des réunions énervées d’Act Up aux enterrements dans des fosses anonymes en passant par les redistributions de médicament ou la robe Marie-Antoinette d’Elektra, tout est basé sur des faits réels

La série aborde aussi l’appropriation de la culture gay par le grand public et le choix de l’ouverture ou non de nos espaces. J’ai hâte de voir comme ce sujet va être traité dans les semaines à venir.

Les acteurs et actrices sont toujours magnifiques. Billy Porter signe une prestation magistrale. Donnez-lui un Emmy !

L’actu paillettes ✨

La version française de Skam, qui met en scène des ados queers et racisé·es a tellement plu que France TV a commandé une cinquième saison alors même que la version originale n’en n’avait que quatre. Canon ! [20 minutes]

Didier Lestrade, journaliste et fondateur d’Act Up-Paris, a des choses à dire sur Tales of the City. [Allociné]

Tales of the City toujours : Netflix a lancé une série de podcasts appelée Tales of Your City sur l’histoire LGBT+ de plusieurs grandes villes américaines. C’est animé par Charlie Barnett. [Podcast]

Taylor Swift dévoile une chanson anti-homophobes. Elle cherche clairement à obtenir une médaille d’alliée. [20 minutes]

La culture drag est-elle devenue trop maintstream ? [Vulture]

Comment tourne-t-on des scènes de sexe LGBT+ ? Plusieurs showrunneurs et réalisatrices, dont celles de Special, Vida et Pose, reviennent sur les scènes les plus emblématiques de leurs films et séries. [Vulture]

Jonathan Van Ness de Queer Eye a annoncé être non-binaire et cela devrait permettre de sensibliser les cishet. [Autostraddle]

Le crush : Tyler, The Creator ?

Depuis la sortie de son dernier, et excellent, album IGOR, je n’arrête pas de penser à Tyler, The Creator. Sur cet album audacieux, il aborde à plusieurs reprise sa vie amoureuse, genrée au masculin. Le rappeur est sur le spectre et ne s’en cache pas, mais cela n’a pas toujours été le cas. Son cheminement personnel est fascinant et en dit beaucoup sur l’homophobie de notre société et la difficulté de s’assumer. 
 

Pendant des années, Tyler, The Creator était connu comme le jeune prodige homophobe à tendance troll. En 2011, le leader du collectif Odd Future, alors âgé de 20 ans, crée la polémique en prononçant les insultes ”faggot” et ”fag” pas moins de 213 fois sur son album Goblin ! Vivement critiqué, il nie être homophobe, sort le bon vieux argument ”pédé, c’est une insulte, ça n’a rien à voir avec les personnes homosexuelles”. Certaines personnes le croient : s’il est vraiment homophobe, comment expliquer qu’il soit un des amis les plus proches de Frank Ocean ?
 

En 2015 et 2016, changement de cap, le rappeur tweet et dessine, à plusieurs reprises, son coming-out. Sans surprise, les gens ont eu du mal à y croire. Est-il honnête ou fait-il encore dans la provoc ? Le doute est levé avec son album Flower Boy sorti en 2017. Le rappeur a 26 ans, chante sa vie dans le placard avec sa chanson ”Garden Shed » et annonce avoir été attiré par des garçons depuis l’adolescence dans la chanson “I Ain’t Got Time”.
 

En novembre dernier, Jaden Smith, autre trolleur en chef queer, a déclaré sur scène que Tyler, The Creator était son ”mother f**king boyfriend”. Ce dernier a répondu d’un éclat de rire. Alors vrai couple qui s’aime d’amour ou blagounette ? Perso, je pense que Jaden Smith, 20 ans, est  juste un fan énamouré un peu creepy.
 

En tout cas, depuis qu’il assume publiquement son orientation sexuelle, la musique de Tyler, The Creator est entrée dans une nouvelle phase, plus audacieuse, plus légère. J’adore !


Lots of love,

Aline