Depuis la sortie de Plan Cœur, la dernière série française (ratée) de Netflix, j’ai beaucoup entendu dire que les séries françaises n’étaient pas bonnes, qu’elles étaient vieillottes, qu’elles ne prenaient pas risques, qu’elles n’arrivaient pas à représenter les minorités. C’est souvent vrai mais Hippocrate prouve bien que c’est loin d’être tout le temps le cas.

L’adaptation par Thomas Lilti de son film du même nom, sorti en 2014, réussit là où Plan Cœur a échoué : elle est moderne, émouvante et captivante. Le créateur a pris un sacré risque : s’aventurer dans le genre très américain des séries médicales et lui apposer une patte française. On y suit les aventures de quatres internes dans un hôpital de banlieue parisienne livrées à elles et eux-mêmes dans un contexte de quarantaine.

La situation est rare mais vraisemblable et c’est là le talent de cette série. De façon très française, tout y est réaliste : la fatigue sur les visages, les couloirs blafards, l’ambiance de la cantine des internes, la banalité des tâches des médecins, la multiprise pour charger un téléphone. Et c’est ce soin du détail qui permet de raconter des aventures romanesques crédibles. Il n’y a pas de frontière glamour qui nous sépare des personnages et cela permet de mieux les comprendre, de mieux nous y attacher. Quant à la prestation des acteurs et actrices, elle est impeccable.

De façon tout aussi réaliste, le personnel d’Hippocrate est fait de diversité. On y retrouve des personnages d’origines ethniques différentes, un médecin de l’étranger et… un personnage trans. La série ayant lieu dans un service spécialisé “F to M” (Female to Male), elle nous fait suivre le post-opératoire et les complications d’un homme qui vient de subir une mastectomie.

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Là où la série est exceptionnelle, c’est qu’elle ne traite pas de la transition comme d’une pathologie. La validité de son existence et de son opération n’est à aucun moment contestée, Laurin est vu avec la même humanité que les autres patient·es. D’ailleurs, on peut difficilement faire représentation plus positive pour les F to M que Laurin : il est posé, patient, doux, sympathique et vit sa transition avec maturité et paix intérieure.

Son cas n’est pas traité différemment de celui des autres : les médecins en parlent dans leur jargon médical sans prendre le temps de l’expliquer au public. Celles et ceux qui ne connaissent pas la signification de l’acronyme “F to M” devront comprendre d’elles et eux-mêmes de quoi il s’agit. Pour autant, la série réussit à éduquer : en laissant la parole au concerné. Dans un épisode, le personnage s’exprime sur les défis administratifs et professionnels qui l’attendent à la sortie de l’hôpital.

On peut reprocher à la série de ne parler de transidentité que par le biais de l’opération ou de la transition, qu’il faut aussi avoir des personnages post-transition. C’est juste, mais cela sera pour une autre série. Celle-ci avait un genre, la série hospitalière, à respecter, a choisi un sujet rarement mis en scène et l’a abordé avec justesse. Aux autres de parler de transidentité sous un autre jour.

Pour Lilti, il ne s’agissait pas de surfer sur la popularité (tout du moins aux Etats-Unis) du sujet des transidentités mais de parler d’un sujet qu’il connaît puisque le créateur de la série a lui-même travaillé dans un service F to M à l’époque où il exerçait comme médecin. Sensible au sujet, il a casté l’émouvant acteur trans Shawn Delair, ce qui a sans surprise permis de rajouter un degré de réalisme et de sensibilité supplémentaire, comme Lilti l’explique dans cet article de Le Monde.

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Le goût pour le réalisme du cinéma et des séries françaises conduit parfois à des œuvres d’auteur·rice dont le manque de glamour peut déplaire. Mais Lilti rappelle que le réalisme n’est pas réservé aux œuvres dramatiques et/ou misérabilistes. Hippocrate prouve que le réalisme a sa place dans des œuvres grand public et qu’il permet au public de mieux se laisser toucher par les personnages et leurs histoires. C’est la précision des détails et la vraisemblabilité des histoires qui permet aux personnages LGBT+ d’émouvoir les spectateurs et spectatrices.

Le film ou la série n’en est pas seulement de meilleure qualité, elle permet aussi de passer un message sans avoir l’air de donner des leçons. Il n’y a pas besoin d’un coming-out tragique, d’une auto-mutilation ou d’un drame familial pour sensibiliser un public cisgenre et/ou hétéro aux défis de la communauté LGBT+, il suffit d’imaginer des personnages qui vivent leurs vies, que cela soit remplir les papiers d’un nourrisson après sa naissance ou aller à l’hôpital. Sans pathos, la vie est plus belle.

Cisgenre : personne dont le genre correspond à son sexe biologique, assigné à sa naissance. En 6 mots : personne qui n’est pas trans.

En traitant les personnages LGBT+ avec le même réalisme et le moins soin que les autres personnages, les scénaristes permettent aussi de rendre les personnages queer plus humains. Andréa Martel ou Hervé André-Jezak de Dix pour Cent ne sont pas parfaits, ils sont réels et c’est pour ça qu’ils ont réussi à charmer les ménages français. Pourquoi tenter d’imiter les séries américaines quand nous avons tant d’atouts à la maison ?

P.S. On est d’accord que le prêtre est dans le placard, hein ?

Sortez le pop-corn ?

? This Close, de Shoshannah Stern et Josh Feldman

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This Close aurait pu être la série queer dont tout le monde parle. Oui mais voilà, cachée sur l’obscur site de streaming Sundance Now, dotée d’un budget de promotion proche de mon budget maquillage, cette série n’a jamais eu la moindre chance de sortir de la pénombre de la Peak TV. Mais bon, ce n’est pas très surprenant. Quelle chaîne aurait eu le courage l’intelligence de donner sa chance à une série avec un gay sourd à la sexualité débridée ?

“J’étais si fatigué de voir les personnages sourds et handicapés traités de façon unidimensionnelle, dans le sens où ils n’avaient même pas de rapports sexuels et ne prenaient jamais de mauvaises décisions”, explique Josh Feldman à them.. Pas étonnant donc que cette série soit aussi crue et réaliste.

This Close suit les vies bordéliques de Kate (Shoshannah Stern) et Michael (Josh Feldman), deux BFFs sourd·es à la relation pas très saine. La série s’ouvre sur Michael qui mélange alcool, drogue et baise anonyme pour oublier qu’il vient de se faire plaquer par son mec (qui voulait ouvrir leur relation) et que Kate vient de se fiancer.

J’aurais plein d’autres choses à dire sur cette série, comme elle est drôle, comme elle nous plonge dans la vie de personnes malentendantes, comment elle nous fait vibrer, mais j’ai déjà trop écrit. Je vous laisse donc lire l’article de them. et regarder la série (ou l’inverse), en attendant la saison 2 en 2019.

? The feels, de Jenée LaMarque

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“J’avais 10 ans. […] Je trouvais ça génial de pouvoir glisser sur cette rampe [d’escalier]. […] Ce qui me procurait les meilleures sensations, c’était de remonter la rampe de bas en haut en glissant. C’était vraiment bon.” C’est sur ce close-up que s’ouvre The Feels. L’incroyable Constance Wu (que les vrai·es adorent depuis le très queer EastSiders) décrit, les yeux dans la caméra, les plaisirs sexuels de son personnage, Andi. Le petit plus : Andi est lesbienne. D’ailleurs, c’est son enterrement de vie de jeune fille. Suite à une confession inattendue, les cinq personnages, lesbiens et hétéros, présents à cet EVJF vont faire le point sur leur relation aux orgasmes féminins. 

The Feels est un peu lent et parfois léger mais a le mérite de parler avec honnêteté du rapport au plaisir, de l’idée trop répandue qu’il faut savoir faire semblant et de la difficile communication en couple. Déculpabilisant, surprenant, ce film rappelle que chaque vie sexuelle est unique. A voir sur Netflix.

L’actu paillettes ✨

On avait adoré Chloë Moretz en lesbienne dans The Miseducation of Cameron Post, on est heureuse d’apprendre qu’elle fait partie du lobby. [Lesbien Raisonnable]

Tous les mangas homos ne se ressemblent pas. [Têtu]

Josh Thomas (Please Like Me) va sortir sa série Netflix et il y aura un personne sur le spectre de l’autisme. Tellement hâte. [Out]

L’autrice Mélanie Fazi a réalisé récemment qu’elle était asexuelle et cela a changé son écriture. [Komitid]

Homophobie : les femmes humoristes devraient-elles être tenues à la même exigence que les hommes humoristes ? [Out]

Girl est sorti aux Etats-Unis et cela a énervé le journaliste trans Oliver Whitney. Dans un article, il dénonce le danger de ce film pour la communauté trans. Dans un second, il met en avant l’obsession d’Hollywood pour la souffrance trans. Girl et Boys don’t cry, même objectif : plaire à un public cis. [Hollywood Reporter / them.]

Je n’avais jamais entendu parler de Yentl avec Barbara Streisand et maintenant je meurs d’envie d’aller de le voir. #genderconfusion #musical [Komitid]

L’alliée unicorn : Dolly Parton ?

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Je me rappelle encore de la première fois que j’ai entendu la chanson “Jolene”, c’était en 1ère sur une recommandation d’un terminal. J’étais bouleversée par la voix de Dolly Parton et par ses paroles, puissantes, émouvantes, osées dans la bouche d’une femme. Mais ce n’est que bien bien plus tard que j’ai découvert la chanteuse et que j’ai compris mon émoi pour cette chanson (on appelle ça le sous-texte homo-érotique) et l’amour des Américain·es pour cette star inconnue de par chez nous.

A l’origine, Dolly Parton c’est l’héroïne des campagnes américaines, l’anti-élite. Elle est honnête jusqu’à moelle et refuse d’être autre chose que ce qu’elle est. Pour empêcher à quiconque de s’attaquer à elle, elle a fait de ses différences sa fierté. Sa féminité de la campagne, un peu vulgaire, elle en a fait une identité, elle l’a performe à grand coup de perruques et de brillants. Son esprit de combattante prolo, elle en fait une identité, elle est la “femme forte”, la matriarche, la bimbo qui en a dans le cerveau. Cet article fantastique de Brain en parle en détail.

Evidemment, les queers, les drags et les féministes l’ont adoptée, et elle leur rend bien (ou est-ce l’inverse). “Si je n’étais pas une femme, j’aurais été une drag queen”, a dit celle qui s’est battue pour le mariage pour tous et toutes et a écrit la chanson de Transamerica. Cette phrase, on l’a retrouve dans Dumplin’, une création originale Netflix qui rend hommage à la philosophie de Dolly Parton. Une adolescente grosse, texane et fan de Dolly Parton (Danielle Macdonald) décide de s’inscrire au concours de beauté organisé par sa mère (Jennifer Aniston). Elle apprendra à être fière, à s’aimer et à accepter d’être aimée grâce aux paroles de Dolly, à son amitié avec une bande de misfits et à la positivité de trois queens spécialistes de Dolly. On y retrouve les classiques de Dolly Parton et des reprises composées par la reine elle-même. C’est le film qu’on attendait.

Le quart d’heure musical ?

Il parait que certaines personnes détestent les chansons de Noël. Je dis “mythe urbain” mais au hasard où ces gens existent vraiment, je leur offre mes excuses les plus plates. Vous l’aurez compris, la sélection de cette semaine va sentir bon le sapin acheté devant le supermarché. A retrouver sur Spotify et Deezer !

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Sur ce, il est temps de nous séparer pour une pause spéciale fêtes de fin d’année.

J’envoie plein de baisers magiques à tous ceux et celles à qui cette période de l’année rappelle à quel point leur famille est idiote. Profitez de ce moment pour revoir les classiques qui vous réchauffent le cœur.

Aline

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