Deux épisodes de The L Word: Generation Q sont désormais sortis et on peut le dire : c’est très loin d’être la série la plus queer – ni même la plus lesbienne. On vous en a parlé en long et en large dans notre podcast Génération·s The L Word avec Lauriane de Lesbien Raisonnable et nos invitées Marion Seclin et Alice Pfeiffer alors je ne vais pas m’attarder sur le sujet. J’aimerais plutôt vous parler de séries foncièrement LGBTQ+ et bien kiffantes. Il y en a quelques unes sur les chaînes US (Now Apocalypse, Work in Progress, Looking, The Bisexual, Vida notamment), mais beaucoup sont uniquement visionnables en ligne. Petite plongée dans le monde des webséries queers.

Sortez le popcorne

? Eastsiders, Netflix

Regarder Eastsiders est une expérience. Tout commence par une saison 1, disponible sur Netflix, qui peut désarçonner. Le son est mauvais, la réalisation pas folle et les costumes au rabais. Normal, cette saison a été faite avec quatre fois six sous au début de la décennie. Alors acteur dans Mad Men, Kit Williamson décide de créer une série qui donnerait de la place à des personnages gays complexes. Il produit deux épisodes, les diffuse sur YouTube, fait une campagne de crowdfunding et réussit à finir la saison. Eastsiders raconte un couple gay qui se sépare. Grâce à son scénario hyper bien ficelé et ses personnages bien écrits, on se passionne vite pour Cal et Thom, leur quatre années de relation, leurs doutes et leurs amours. Au cours des 9 épisodes de 10 minutes, on découvre aussi la vie des deux meilleur·es ami·es de Cal – Kitty (Constance fucking Wu !), qui sort avec Ian, et Quincy, qui organise des soirées gays. La websérie nous fait aussi suivre la vie de Jeremy, l’homme avec qui Thom a trompé Cal, et dont la sœur lesbienne connaît aussi des problèmes de couples. Car oui, la série a lieu dans l’est de Los Angeles où tout le monde ou presque est L, G, B, T ou +.

La saison 1 était si bonne, malgré le budget limitée, qu’elle a été ensuite diffusée par la chaîne gay Logo jusqu’à atterrir chez Netflix. Eastsiders passe alors à la vitesse supérieure. Toujours financée par ses fans, la série gagne dès la saison 2 en qualité visuelle et sonore. Cal et Thom sont désormais en relation ouverte, Quincy sort avec Douglas, une drag queen, et Ian couche avec une lesbienne. 

C’est avec la saison 3 qu’Eastsiders entre dans mon panthéon des séries (c’est un très vaste panthéon mais tout de même). Cal et Thom partent en roadtrip pour réparer leur relation. Douglas et Quincy sont à Palm Springs pour fêter leur amour et Ian est toujours hétéro. Cette saison très Priscilla, reine du désert meets Thelma et Louise meets My Own Private Idaho (c’est pas moi qui le dit, ce sont le nom d’épisodes) est très belle et rythmée. C’est une réflexion aussi profonde que joyeuse sur l’amour et l’acceptation de soi. 

La saison 4, sortie le 1er décembre sur Netflix, est tout aussi fine. Elle est plus queer, sexy et tendre que jamais. Elle aborde particulièrement la place du mariage dans la communauté gay. Il y a aussi un très très joli arc narratif sur la bisexualité – rien que de penser à l’épisode « Both Sides Now », j’en ai des frissons. Les personnages féminins sont plus creusés qu’auparavant et les personnages masculins plus féministes. Une conclusion parfaite, un joli happy ending pour une belle aventure que certain·es suivent depuis 7 ans !

? Projet pieuvre, Instagram

Voilà une création atypique, déconcertante, addictive et définitivement moderne. Pensé pour Instagram (disponible ici), Projet pieuvre raconte le quotidien de plusieurs Parisien·nes, majoritairement LGBTQ+. Chaque jour, une vidéo d’une minute en plan fixe est mise en ligne, on y découvre un moment de vie d’un ou une des personnages. Parfois banales, quelques fois ennuyantes, souvent sexy, régulièrement émouvantes, ces vidéos sont déconcertantes. On se demande parfois à quoi rime certains moments, pourtant tout est lié et l’histoire se dévoile progressivement. Les acteur·ices sont excellentes, le portrait de la communauté LGBTQ+ parisienne d’une franchise rare et les scènes de sexe d’une beauté et audace surprenante – je suis d’ailleurs surprise qu’Instagram n’aie pas essayer de censurer la série. Il va vous falloir scroller longtemps pour pouvoir commencer la série, mais cela vaut le coup. Vous n’aurez pas souvent l’occasion de voir une série aussi frontale, émouvante et touchante.

C’est un projet complètement bénévole qui a besoin du soutien financier de ses fans pour survivre. Si vous le pouvez, soutenez la série sur Tipeee – je l’ai fait !

L'actu qui met des paillettes

JJ Abrams s’était vanté d’avoir un moment LGBT dans son dernier Star Wars : l’ascension de Skywalker. Il s’agit en fait d’un baiser tellement inimportant et rapide que le film a passé la censure chinoise… C’est dire. [Variety]

Le culot : il y aura bien un super-héros ouvertement gay dans Les Eternels, le prochain Marvel, mais ce ne sera pas Richard Madden. Make Richard Madden gay ! [Out]

Oh. My. God. L’acteur out Jonathan Groff (Looking, Glee, Mindhunter) rejoint le casting de Matrix 4. Ça va vraiment être le film queer qu’on attendait. [Les Inrocks

Vous vous rappelez de Dark Angel, la série de James Cameron ? Elle était bien plus engagée, féministe et queer que l’histoire s’en rappelle. [Slate]



Je vous ai parlé il y a deux semaines de Lola vers la mer. Je ne m’en remet toujours pas alors voici quelques liens supplémentaires :

Cet article sur le casting du film et la réaction des critiques et festivals en son envers est hyper important pour comprendre notre époque cinématographique. [French Mania]

Quelles histoires trans le cinéma peut-il raconter ? J’ai posé la question au fondateur de la Queer Plam et à une sociologue transféministe. [Slate]

J’ai demandé à des femmes trans ce qu’elles avaient pensé du film (spoiler : que du bien). [Cheek]

Mais que se passe-t-il ?

Once upon a time, des chaînes américaines et anglaises nous avaient offert des séries sur des groupes d’ami·es LGBTQ+. Audacieuses, révolutionnaires mais en même temps très normées, Will and Grace, les Queer as Folk et The L Word ont donné à voir des gays et lesbiennes blanches, aisées et minces, des minorités sexy et acceptables qui ne faisaient pas peur aux hétéros. Et puis plus rien. La télé nous avait de nouveau oublié·es. Heureusement, une solution est apparue : YouTube et Vimeo. Celles et ceux fatigués de se voir représentés nulle part ont pu s’approprier ces plateformes pour raconter leurs propres histoires. Grâce au développement du financement participatif, elles et ils ont pu trouver le financement nécessaire pour produire leurs webséries.

Selon le chercheur Vincent Terrace, il y aurait eu 335 webséries LGBTQ mises en ligne entre 1996 et 2014. S’il fallait estimer le nombre de webséries queers sorties depuis, je dirais : beaucoup ! Vous pouvez trouver des sélections sur Biiinge ou Cultures LGBT. Inutile de dire qu’il y a de tout : du très bon, du mal joué, du très bien financé, du bricolé, de l’asiatique, de l’européen, du blanc, du noir. Mais il y a une constante : ces séries racontent des histoires que la télé estime trop niches, trop communautaires, trop osées. Disposant de peu de budget, ces séries séduisent par leur sincérité et grandissent avec le bouche-à-oreille.

The Outs (sur Vimeo) suit des ami·es queers et noir·es à New York, avec un pied dans la scène ballroom. Eastsiders raconte la vie d’un couple gay open, mais aussi de leur meilleur ami efféminé et son mec dragqueen. The Gay and Wondrous Life of Caleb Gallo (sur YouTube) – un bijou que je revisionne une fois par an – est totallement queer avec, notamment, des personnages gender-fluid exceptionnelement drôles et sexy. Quant à This Close, financée par crowdfunding avant d’atterrir sur la peu connue Sundance TV, elle met en scène la codépendance entre un homme gay sourd et sa meilleure amie sourde. Ces webséries permettent souvent à des scénaristes ou des acteurs d’écrire des personnages LGBTQ+ complexes et nuancés introuvables ou impossibles à télé.

Depuis quelques années, des chaînes et plateformes se sont mise à produire et/ou diffuser des webséries. La plus connue d’entre elle est bien sûr Netflix. Le géant américain produit et/ou diffuse ses propres séries, comme Les Chroniques de San Francisco, et diffuse des séries qui ont eu du succès ailleurs, comme Eastsiders. Pour Ryan O’Connell, le créateur de Special, Netflix fut un soulagement. Trouver un studio de production fut une tannée, un distributeur tout aussi difficile. Personne ne voulait de son programme jugé trop niche. Netflix vient de renouveler la série, preuve qu’une série sur un homme gay atteint de paralysie cérébrale intéresse du monde. On peut aussi remercier Amazon Prime pour Transparent qu’on aurait difficilement vu à la télé à l’époque et qui a ouvert des portes.

Côté Francophonie, les chaînes du service public ont créé leur propre chaîne et studio de production. Ainsi, la websérie lesbienne Féminin/féminin, créée par le média lesbien canadien LSTW, a été diffusée sur la chaîne web de Radio-Canada (qui je crois a financé la saison 2) et la plateforme digitale de France Télévision, France TV Slash. Celle-ci a financé et diffusé la série Les Engagés, sur un groupe de militant·es lyonnais. On peut aussi retrouver sur Slash, la série La théorie du Y sur une jeune Bruxelloise qui découvre qu’elle est bi. Adaptée d’une pièce, cette série a pu voir le jour grâce à un concours de la RTBF (Télévision Publique Belge Francophone). 

Ces webséries francophones LGBTQ+ financées par des institutions sont rares. La faute, d’une part, à un faible budget alloué par les chaînes publiques à leur studio web et, d’autre part, à une méfiance envers les programmes queers. Caroline Taillet et Martin Landmeters ont eu du mal à financer la deuxième saison de La théorie du Y. “France Télévisions, nous a répondu qu’il y avait déjà un projet de websérie LGBTQI+ (Les Engagés), et que ca suffisait… C’était assez frustrant, car évidemment, il y a des milliers de thématiques englobées dans “LGBTQI+”, et des milliers de manières de les aborder !” m’ont-iels expliqué par email. L’équipe de Les Engagés avaient elle-même, eu toutes les difficultés pour boucler son budget. L’apport du diffuseur pour les séries web tendant à être limité, il a fallu compléter autrement. “Nous nous sommes vite rendu compte que la série avait du mal à passer l’étape des commissions d’aide sélectives. Le sujet était vu comme un peu suspect, potentiellement “communautariste”. Certaines aides nous ont été refusées”, m’a expliqué Sullivan Le Postec, son créateur. Mais attention, il ne s’agit pas ici de blamer France Television Slash. La plateforme web a diffusé de nombreuses séries inédites avec des personnages principaux LGBTQ+ ces dernières années, comme les excellentes Skam, Mental, Back to Corsica ou encore Zero Testosterone.

Alors, les webséries auto-financées continuent d’éclore. Deux projets français m’ont donné très envie cette année : Extranostro, sur un afro queer tellement dragueur que ça en est malaisant, et Homoscope sur une trentenaire qui n’ose pas faire son coming-out à sa mère maghrébine. Extranostro cherche toujours du financement pour finir sa première saison – pour le crowdfunding, ça se passe ici. Quant à Homoscope, un seul épisode a été diffusé. On veut la suite !!!

Pour la cinéaste Kis Keya, créatrice d’Extranostro, être diffusée sur le web est un choix presque militant. “C’est plus accessible pour une grande majorité des gens à travers le monde et c’est une priorité pour moi que la série puisse être vue, entre autres, dans les pays d’Afrique ou de la Caraïbes.” La superbe saison 3 de Skam France, dédié à la première histoire d’amour du gay Lucas, a une communauté de fans dévoué·es en Russie et en Chine, pays dans lesquels il est impossible de voir des personnes LGBTQ+ à la télé (elle est disponible partout dans le monde sur YouTube). Quant au financement des dernières saisons d’Eastsiders, il a été possible grâce aux fans internationaux. Nous aussi en bénéficions, des webséries des quatre coins du monde ont voyagé jusque chez nous, notamment la série singapourienne People like us.

Pour d’autre, le web est un moyen d’explorer. Arthur Vauthier a créé Projet Pieuvre parce qu’il souhaitait “composer une fresque du quotidien, entremêlant les vies ordinaires d’un grand nombre de personnages” m’a-t-il expliqué sur Twitter. Ces personnages lui permettent de décliner un certain nombre de thèmes qui lui tiennent à cœur : l’intime et la mise en scène, la solitude et les relations humaines. “Le projet est bénévole car c’est un laboratoire, dans lequel j’ai besoin d’être aussi libre que possible”, a ajouté l’étudiant en formation scénariste. Il n’a aucune envie que son projet soit diffusé ailleurs. Tant mieux, elle est bien comme elle est. Qui a encore besoin de la télé ?

Le quart d'heure musical

Pour finir l’année, je vous propose 5 chansons qui plairont à toute la famille lors du réveillon. Votre famille y verra un signe de votre goût pour les chansons rétro, vous saurez que c’est aussi votre hommage à des artistes courageuses qui assumaient leur attirance pour des femmes et parfois même la chantait ! Résistantes, militantes, fières, féministes, ces femmes-là sont mon mood pour 2020. La playlist de cette saison 2 est à retrouver sur Spotify et Deezer.

Runaway Blues de Ma Rainey, De temps en temps de Joséphine Baker, It's my party de Lesley Gore, I only want to be with you de Dusty Springfield, I'll be seeing you de Billy Holiday

Sur ce, joyeuses fêtes, bon courage, take a break, hasta luego, bonne année et rendez-vous sur Twitter et Instagram pour continuer le fun.


Aline